La femme de l’aviateur (1981) d’Eric Rohmer

La femme de l’aviateur est le premier film de la série d’Eric Rohmer « Comédies et proverbes », celle qui suit les « Contes moraux ». Il fait partie de la rétrospective Rohmer du BFI et a été projeté dans les grande salle devant un public assez clairsemé.

Tout de suite une remarque sur le titre : le mot « aviateur » évoque pour moi le cuir des flying jackets, beaucoup plus que l’uniforme bleu-marine avec épaulettes à quatre barrettes. On imagine l’aviateur en question voler en coucou, en Pipper mais pas en Caravelle ou en Boeing. Las ! Le mot est trompeur en fait, la femme de l’aviateur, c’est la femme du commandant de bord, la femme du pilote de ligne. Mais c’est vrai que cela aurait fait moins ronflant.

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Il s’agit de l’histoire de François, qui travaille de nuit au centre de tri de la poste près de la gare de l’est à Paris. Alors qu’il allait porter un message à Anne, sa copine, disons plutôt sa parteniare sexuelle, il la voit descendre de chez elle, à huit heures du matin avec son ex, un pilote de ligne. En fait, le pilote était arrivé directement chez Anne le matin même juste après avoir atterri à Roissy pour lui annoncer qu’entre eux deux, c’était officiellement terminé, car il avait renoué avec sa femme, qui allait emmenager à Paris et qui d’ailleurs était enceinte. Inutile de dire que ce n’était pas du tout ce que François s’était imaginé en les voyant descendre de chez la belle dès potron-minet. Un peu plus tard dans la journée, François va tomber, dans un café de la gare de l’est sur l’aviateur en question, accompagné d’une étrange femme blonde aux cheveux courts. Il va les suivre une bonne partie de l’après midi aux Buttes Chaumont où les deux se rendent, puis chez un avocat avant de perdre leur trace, de retourner chez Anne pour demander des explications. Pendant sa filature, il va être accompagné par Lucie, une espiègle adolescente de 15 ans que son histoire amuse beaucoup et qui se prend pour Sherlock Holmes.

On l’aura remarqué, il y a du contenu dans ce film. Le scénario ne tient pas sur un timbre poste comme dans pas mal d’autres opus de Rohmer. C’est n’est pas Raymond Chandler, certes, mais on se prend parfois à « avoir envie de savoir la suite, de savoir ce que les deux font ensemble, qui est cette mystérieuse femme blonde » etc … C’est assez inhabituel chez Rohmer. C’est d’autant plus étrange que ce film est un Rohmer mineur. Ce n’est pas celui qu’on cite en premier lorsqu’on songe au cinéaste. Est-ce que c’est parce que justement, il s’affranchit moins que les autres films des exigences traditionnelles du cinéma comme la nécessité d’avoir un scénario ?

Un scénario, certes, mais aussi des acteurs. A ma grande surprise, les acteurs sont plutôt crédibles. Ils ne surjouent pas, ils ne récitent pas ou peu (François parfois, Lucie de temps en temps) et pourtant ce sont tous des inconnus. Fabrice Luchini a un micro-rôle de 20 secondes, Marie Rivière y a son premier grand rôle au cinéma avant de jouer dans de nombreux autres Rohmer, dont le rôle principal qu’elle aura plus tard dans Conte d’automne. Elle est très jolie dans ce film et prendra un sacré coup de vieux dans les oeuvres ultérieures de Rohmer de la fin des années 90. Les autres sont des acteurs très peu connus que je n’ai jamais vus ailleurs mais ils ne jouent pas à la « façon Rohmer », c’est à dire de façon peu crédible, en un mot mal. Ce choix inhabituel donne au film un caractère de normalité qui le démarque des autres opus du cinéaste, qui a peut-être nui au jugement qu’on a porté sur lui mais que moi, personellement, j’ai assez apprécié

Le film n’a pas très bien vieilli. Rohmer était très certainement fauché, comme dans tous ses films et le grain est assez moche. Mais cela permet de faire jouer un autre ressort, involontaire et déjà en germe dans Le genou de Claire : la nostalgie. Le film fleure bon les années 80. Il a y les vieux bus verts de la RATP, les timbres à un franc soixante à l’effigie de la Sabine de David, le studio d’Anne où celle-ci n’a pas le téléphone (Est-ce possible ?) où encore l’appart d’étudiant occupé par François avec vue sur la tour Eiffel, rien que ça. Beaucoup de chose qui n’existent plus de nos jours, mais alors plus du tout. Des apparts pour étudiants (non chinois) avec vue sur la tour Eiffel, allons bon !

Dans le même ordre d’idée, une autre chose qui chez moi a fait mouche : le film se passe à Paris et on sait très bien où. A la difference d’autres cinéastes qui filment dans la capitale tout en prenant bien garde de cacher les endroits précis où ils posent leur caméra, Rohmer filme allègrement des noms de rues, les stations du bus 26, le nom des cafés (qui ont dû exister car il filme en décors naturels et je ne l’imagine pas retoquant l’enseigne d’un café pour en cacher le nom), les stations de métro etc … Pour un connaisseur de Paris comme moi qui aime les jeux de piste, c’est assez plaisant.

Quid du contenu maintenant ? Pour un réalisateur cérébral comme Rohmer, c’est là un point central. Comme dans tous ses opus, Rohmer pose des petites questions sur l’amour et la relation et y esquisse des réponses. Comme nous somme dans la série « Comédies et proverbes », il y a une maxime autour de laquelle la réflexion tourne et celle-ci est : « On ne saurait penser à rien ». Il est vrai que l’un des personnages profère cela au cours du film selon le schéma classique « A quoi tu penses ? », « A rien » (probablement faux) et la réponse « Mais on ne saurait penser à rien ». Je ne me souviens plus à quel sujet ces propos sont échangés mais cela ne m’a pas frappé, en fait, le proverbe et son utilisation sont un peu fumeux à mon avis.

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Il y a en revanche des saillies plus intéressantes sur doit-on vivre en couple ou seul, même quand on aime une personne ? Ou encore est-ce que ce sont les femmes qui décident de commencer ou de terminer une relation ? Interrogations plus terre à terre, où chaque personnage y apporte sa propre réponse, souvent en contradiction avec celle des autres. A la réflexion, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de réponse idéale, que tout dépend de la période de la vie qu’on traverse. Les personnages de La femme de l’aviateur couvrent tout le spectre des âges de la jeunesse et leur attitude dans la relation amoureuse : il y a la tendre insouciance de l’adolescence chez Lucie (15 ans), la croyance et la volonté de connaître l’amour fou chez François (20 ans), le commencement de la fin des illusions chez Anne, la femme (25 ans), et l’aspiration rationnelle à une vie amoureuse sans relief mais stable chez l’aviateur (30 ans). Une jolie symétrie qui rend le film assez aimable.

Mentionnons pour finir deux petites touches d’humour complètement involontaires qui m’ont fait sourire. Pour un film tourné en 1981, le petite Lucie fabule en se décrivant à François en affirmant qu’elle « avait épousé un balayeur noir musulman et dont la religion interdit qu’on le prenne en photo ». Je ne sais pas où Rohmer a pioché cet exemple mais il est furieusement d’actualité en ce début 2015.

Egalement à mentionner la musique. Il n’y en a pas, simplement une petite chanson que François fredonne à longueur de temps. C’est assez énervant surtout pour un amateur de chanson française comme moi qui ne l’a pas reconnue. Et pour cause ! C’est une chanson écrite pour l’occasion par Rohmer lui même, dont on entend finalement les paroles pendant le générique de fin. La chanson s’appelle Paris m’a séduit et est interprétée par une chanteuse à la voix de flûte qui rappelle en même temps les chanteuses des années 40 comme Lucienne Boyer ou Lys Gauty. Cette chanteuse … c’est Arielle Dombasle, nous apprend de générique de fin, qui n’a pas beaucoup de voix mais dont l’interprétation a un charme indéfinissable.

C’était donc La femme de l’aviateur, la première des « Comédies et proverbes » . Cela fait déjà plusieurs films que j’attends Rohmer au tournant avec quelques tournures fielleuses sur des aspects de son cinéma que je n’aime pas vraiment et que je n’attends qu’une occcasion pour déballer. Eh bien ce ne sera pas cette fois-ci. La femme de l’aviateur, c’est bien, on décolle sans trop de problèmes.

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3 réflexions sur “La femme de l’aviateur (1981) d’Eric Rohmer

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  3. C’est toujours plaisant de lire les commentaires d’un gars qui vient de se faire dépuceler par un film de ROHMER et constater que, finalement, il y a pris du plaisir alors qu’il était certain que ce n’était pas son “kif”; la critique ici rédigée est sincère, on le ressent, même s’il y a aussi pas mal de mauvaise foi. Qu’est-ce que “bien jouer”? est-ce jouer en mettant le plus de naturel possible soi disant? mais ce naturel-là qu’on croit infaillible et qui a une telle valeur soi disant dans la vie et au cinéma n’est-il pas l’expression, souvent, de tons convenus, voire hypocrites? ROHMER se moque éperdument et il a raison de faire “jouer” ses acteur selon cette sacro sainte vertu du NATUREL. Lui ce qu’il veut c’est qu’on entende les comédiens, qu’ils articulent, qu’ils prononcent toutes les syllabes de son texte. Lequel texte lui a demandé des heures de boulot. Pourquoi devrait-il sacrifier ce labeur à la mode du JOUE FAUX (ce qui arrive tout le temps, en fait, dans la plupart des films: les acteurs jouent faux en croyant jouer juste, c’est être dans un registre étriqué). Et, surtout, ROHMER n’a pas envie de faire du cinéma qui imiterait la Vie. Il y a assez de tâcherons qui se croient doués qui se contentent de filmer une reproduction du réel: où est le travail artistique? n’importe quel imbécile peut faire pareil et ils ne se privent pas, ils sont même légions. Alors non, pas ce genre d’arguments SVP; je ne m’étendrai pas plus car finalement même si vous choquez parfois mon entendement en lisant vos arguments de non adhésion à ROHMER tout en reconnaissant que “moui, bon, cette Femme de l’aviateur, pas mal” j’avoue que je trouve plutôt sympathique et positif votre reconnaissance que vous n’avez pas là affaire à un petit film de rien du tout. Quand vous grandirez, vieillirez, vous regarderez encore mieux les films de ROHMER j’en suis sûr ^^ Non pas que sa filmographie ne s’adresse qu’à des seniors bien au contraire, moi je suis tombé dedans dès mes 16 ans. Et ça continue à 55 ans. Voyez, vous avez de la marge. Cordialement.

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