Je viens de sortir du cinéma où j’ai vu le film de Jacques Demy Les parapluies de Cherbourg. Je n’ai jamais été attiré par les comédies musicales en général et par Demy en particulier sans trop pouvoir avancer une raison. Eh bien maintenant je sais pourquoi ! Futurs lecteurs de ce post, inconditionnels de Demy, sachez que je n’ai pas aimé ce film, mais alors pas du tout du tout. Explications.
Geneviève, une jeune fille de seize ans qui vit avec sa mère et l’aide à tenir sa boutique de parapluies, est amoureuse de Guy, vingt ans, et les deux tourtereaux envisagent de convoler – contre l’avis de la mère de Geneviève qui pense qu’elle est trop jeune – jusqu’à ce que Guy soit envoyé faire son service militaire, pendant deux ans en Algérie. Il part en laissant sa fiancée enceinte au même moment où la boutique rencontre de sérieux problèmes financiers, ce qui compromet sa survie et l’avenir de Geneviève et de son enfant à naître. Alors qu’elle souhaite gager ses bijoux, la mère de Geneviève, accompagnée de sa fille rencontre un jeune diamantaire qui lui achète un collier et finit par demander la main de la jeune fille. Comme le jeune homme est aussi décidé à accepter l’enfant, Geneviève accepte sa proposition, épouse le diamantaire et part pour Paris laissant le pauvre Guy tout seul lorsqu’il rentre, blessé, d’Algérie peu après.
Pour ceux qui viendraient de Mars, je rappelle que Les parapluies de Cherbourg est une comédie musicale, musicale, certes, mais plus encore que musicale, chansonnière, car par dessus la musique, il y a la chanson, et c’est là que, à mon avis les problèmes commencent.
Ce n’est pas la première fois qu’une oeuvre artistique allie une trame scénaristique avec de la chanson (ou du chant si certains béotiens considéraient le mot chanson comme péjoratif). On a vu cela à l’opéra, dans des comédies musicales antérieures, sur scène ou sur l’écran (My fair Lady, Mary Poppins, La mélodie du bonheur etc …). Ces comédies comportaient en général des morceaux parlés ou joués suivis par des chansons, moments de bravoure qui marquaient les esprits et que tout le monde fredonnait à la fin de la représentation. De la même façon, les opéras du XVIIème et du début du XVIIIème comportaient des morceaux parlés appelés récitatifs entrecoupés d’arias, morceaux chantés, où l’action s’arrêtait, mais prétexte à l’exaltation des grands sentiments. C’est la cas chez Mozart ou dans les passions de Bach par exemple. Au XIXème siècle, l’opéra s’est passé du récitatif et toute l’action de l’opéra, chez Rossini et plus encore Verdi, était chantée.
Dans Les parapluies de Cherbourg, Demy a voulu effectuer exactement le même saut quantique pour ce qu’il qualifiera lui-même « d’opéra populaire » : point de morceaux joués « normalement », tout, absolument tout dans le film devait être chanté. Ambitieux, très ambitieux, cela aurait dû nécessiter une réécriture sérieuse du scénario et des dialogues pour les adapter à une contrainte assez forte. Il n’en a rien fait et a prouvé ainsi à ceux qui en doutaient qu’il n’était pas Verdi. Le principe des parapluies est de prendre un dialogue normal et de le chanter sur la musique de Michel Legrand, et quand je dis normal, c’est vraiment normal, cela ne rime pas, il n’y a pas d’effets de style, pas de langage poétique, c’est du style « je vais me brosser les dents »; une séance de questions à l’assemblée nationale peut très bien s’adapter à ce concept.
Alors, comment dire, cela peut faire rigoler pendant cinq minutes, ce qui laisse encore une heure vingt-cinq de film à bailler d’ennui.
La musique de Michel Legrand est magnifique et le thème, qu’on entend à de rares occasions sans paroles est assez poignant. Mais quand on chante par dessus des paroles idiotes, cela la dénature complètement : annonner la recette du gâteau au yaourt sur un thème d’Ennio Morricone ou réciter l’annuaire téléphonique sur la chevauchée des Walkyries diminue considérablement l’effet dramatique et oppressant de ces thèmes musicaux. C’est exactement ce qui se passe dans Les parapluies.
La parti-prix de la chanson rend le film d’une part loufoque mais aussi non réaliste, et empêche ainsi le spectateur de s’identifier aux personnages. L’histoire n’est pas sotte, c’est une histoire assez classique et triste qui aurait pu émouvoir si elle avait été tournée autrement mais là, en s’en fiche complètement. La scène finale où les deux se retrouvent aurait dû être bouleversante, elle m’a laissé complètement de marbre (moi qui ai pleuré pendant une bonne partie du film que j’ai vu deux jours plus tôt : Les feux de la rampe), en fait je n’ai pas ressenti la moindre émotion pendant l’heure et demie qu’a duré le film.
Au crédit du film et pour ne pas l’enfoncer plus encore, on peut mentionner un effet madeleine de Proust lorsqu’il décrit cette société des années 60 maintenant disparue : une petite ville de province dont la rue principale est couverte de commerces de détail divers et variés (cela n’existe plus depuis de longues années), des jeunes de 20 ans qui allaient faire leur service militaire, de surcroît au front, de surcroît pour se faire tirer comme des lapins, la mode d’époque, des 403 Peugeot ou des Citroën DS avec des enfants de quatre ans qui montent sur le siège avant sans ceinture de sécurité, tout cela fleure bon la nostalgie, le film est quelque part un document d’époque qu’on aurait pu prendre au sérieux si il n’avait pas été aussi niais.
Demy s’amuse aussi avec les couleurs. Elles sont assez criardes ce qui colle bien avec les côté grotesque du film et je dois admettre que les scènes chez Guy avec ces meubles bleu-turquoise et la chemise de la même couleur qu’il a porté pendant tout le plan, ou encore la scène au café où tout est en orange sont assez charmantes. Mentionnons aussi la scène du générique, une jolie vue aérienne, inventive, où on voit des gens marcher sur une place de Cherbourg avec des parapluies multicolores. C’est à peu près tout en ce qui me concerne.
Je dois cependant admettre que je suis bien seul à porter ce jugement négatif sur le film. Le festival de Cannes 1964 présidé par Fritz Lang lui décernera le grand prix (l’ancêtre de la palme d’or) et le film sera nominé pour l’oscar du meilleur film étranger en 1965 – la statuette revenant finalement au film italien Hier, aujourd’hui et demain de Vittorio De Sica. Anecdote amusante, les deux films qui ont triomphé en cette année 1965 aux oscars sont Mary Poppins, film le plus nominé (13 fois) et My fair lady, film le plus récompensé (8 fois). Les comédies musicales avaient, cette année là, le vent en poupe.
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