Touchez pas au grisbi (1954) de Jacques Becker

Touchez pas au grisbi a été montré comme un des films du cycle consacré à Jacques Becker au BFI. J’ai raté tous les autres films de la série donc je ne bloguerai que sur celui là. C’est un film du milieu de la carrière de Becker, qui fleure bon les années 50 comme je vais vous l’expliquer.

Max le menteur est un truand bien installé. Il a fait ses preuves et a ses obligés, il passe son temps au restaurant chez Bouche ou dans la cabaret de son vieux pote Pierrot. Max, est aussi ami, à la vie à la mort avec Riton, un truand lui aussi, mais assez fragile, looser pour tout dire – un « cave » comme on dirait dans le métier – et qui a une faiblesse pour Josy. Josy, c’est sa régulière. Elle se permet, en plus de Riton, de fréquenter aussi d’autres voyous dont Angelo, étoile montante de cette pègre qui investit dans un business nouveau : celui de la drogue, plus moderne, plus risqué aussi mais aussi plus rémunétateur. Max, lui est un truand à l’ancienne, qui vient d’ailleurs juste de raffler une bonne douzaines de lingots d’or dans un casse discret à Orly, son dernier coup qui doit lui assurer une retraite bien méritée. C’est sans compter sur la maladresse de Riton et sa langue trop bien pendue, ainsi que sur les ambitions d’Angelo qui va essayer de lui carotter son pactole.

Voici donc de la bonne vieille histoire de gangsters des familles et elle est signée par un écrivain scénariste, ex journaliste, ex pétainiste dont c’est le premier roman publié: Albert Simonin. Pour un coup d’essai, ce sera un coup de maître. L’oeuvre, le prix des deux magots qu’il obtiendra, et l’adaptation cinématographie apporteront la célébrité à Simonin qui exploitera le filon Max le menteur dans les deux oeuvres suivantes qui viendront compléter la trilogie : Le cave se rebiffe (porté au cinéma par Gilles Grangier en 1961) et Grisbi or not grisbi, porté aussi au cinéma mais sous un autre nom, par Georges Lautner en 1963 : il s’agit du film Les tontons flingueurs.

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Disons le tout de suite, le film diffère considérablement du livre et a nécessité une ré-écriture en profondeur du scénario à laquelle Simonin a contribué. En fait, le livre impressionne par son usage extensif de l’argot des truands. Il a même un glossaire à la fin où sont recensés les mots utilisés pour en faciliter la compréhension et vaut donc surtout par les saillies hautes en couleur de ses personnages. Le personnage de Max a le verbe haut car c’est le vecteur principal de cette langue fleurie et la trame est parfois violente. Dans le film au contraire, il n’y a qu’une seule scène de violence – à la fin – même si certaines situation s’y prêtaient et Max est un truand désabusé et taiseux. L’argot est certes utilisée mais de manière complètement édulcorée par rapport à son support livresque.

Pour ce qui est des acteurs, Becker s’est entouré de la star Gabin. Un Gabin années 50, c’est à dire que ce n’est plus le jeune premier, portant des idées socialisantes, des films de Renoir et du réalisme poétique, mais un acteur maintenant reconnu, un peu empâté je dois admettre mais qui se coule parfaitement dans le costume du gangster qui en impose et que tout le monde respecte, précisément parce que c’est un acteur qui en impose et que tout le monde respecte. C’est donc un rôle taillé sur mesure où Gabin ne prend pas de risques et fait du Gabin, cabotine toujours un peu mais c’est finalement ce que le public – moi y compris – lui demande.

Le deuxième nom notable au générique est celui d’un acteur de 35 ans dont c’est le premier film, un homme qui a pas mal ramé, fait un peu tout les métiers avant de faire du cinéma un peu par hasard. Cet homme ne le sait pas encore, mais ce film est le premier d’une longue carrière qui en fera une star à la renommée égale à celle de Gabin, un futur acteur qui sera longtemps le chouchou des français, cet acteur qui débute dans Touchez pas au grisbi avec le nom venant très tard au générique : c’est Lino Ventura. Il joue le rôle de gangster italien ce qu’il est (italien, pas gangster) et je dois admettre qu’il fait aussi du Ventura même si le style n’existe pas encore, servi en cela par les dialogues de Simonin. Vous savez tous que Ventura n’est jamais aussi croustillant lorsqu’il s’emporte avec quelque expression argotique bien sentie pour exprimer son agacement, cela arrive plus d’une fois dans Touchez pas au grisbi. Un rôle sur mesure lui aussi qui le fera reconnaître par la profession et qui lancera sa carrière.

La récit est construit de manière assez atypique. Il n’est pas question de casse, il a déjà eu lieu. Il nous montre sur toute sa longueur l’après-casse, les tergiversations, les problèmes rencontrés une fois le hold-up réussi (au cas où certains d’entre vous penseraient que tout est terminé) : les planques, les coups fourré, la nécessité de cacher la richesse subite, le recel du butin etc … Il maintient ausi le suspens pour savoir si Max, pour son dernier coup va finalement parvenir à s’offrir sa retraite dorée. Pensez-donc, la partie « action » de son ultime forfait s’est terminée sans bavures, il est véritablement tout près du but … Je ne vous en dévoilerai pas plus.

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Des éléments donc prometteurs qui malheureusement ne suffisent pas à en faire un grand film. Touchez pas au grisbi ne parvient pas à être plus que la somme des parties qui le constituent. Oui, Gabin, est gouailleur à souhait et c’est comme cela qu’on l’aime. Oui le jeune premier Ventura est lui aussi délicieux et lui apporte une répartie que peu d’acteurs auraient réussi à faire. Oui les dialogues en argot sont tout à fait délectables mais ces qualités se superposent, voire se vampirisent sans véritablement enrichir le film. L’histoire prétendait narrer une belle histoire d’amitié qui résiste à tout, ou encore la solitude du truand vieillissant et blasé qui souhaite partir en pleine gloire d’un business dont il sent que son heure va passer, il y aurait pu avoir des sentiments forts, du blues mais point de tout cela. Le jeu débridé des acteurs, que Becker n’a pas réussi ou pas voulu contraindre, remise ces grands sentiments au second plan pour nous livrer un numéro d’acteurs, film plaisant mais pas vraiment exaltant, dont on aime les dialogues mais pas plus que ça. Un film témoignage de son époque, d’un certain « cinéma de papa » dénigré par Truffaut mais qui ne mérite pas tant d’opprobre. Si on veut bien laisser un instant son snobisme au vestiaire, cela fleure bon le cinéma révolu des années 50 et en fin de compte, se laisse voir sans déplaisir.

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