Rimini (2022) d’Ulrich Seidl

En plein pendant la joyeuse période de noël sort le dernier film d’un des plus déprimants réalisateurs du moment : l’autrichien Ulrich Seidl et son dernier film Rimini, dont la diffusion dans les cinémas d’art et d’essai londoniens voisine avec celle des classiques de noël : Le miracle de la 34ème rue ou La vie est belle de Capra : on ne peut pas faire plus contrasté, et c’est bien Rimini que je suis allé voir donc, cet après-midi.

Richie Bravo est un chanteur pour dames, ou plutôt pour personnes âgées, qui mène une vie misérable entre les shows de crooner minables pour maintenir ce qu’il a de standing et les passes – comprendre les séances d’amour tarifées – qui vend à ses admiratrices (un peu) fortunées. Il vit à Rimini, petite station balnéaire d’une tristesse sordide pendant l’hiver. Un beau jour, une mystérieuse jeune femme se présente à lui, lui explique qu’elle est sa fille et lui réclame l’argent qu’il n’a jamais envoyé, à sa mère et à elle, après qu’il les a quittées il y a de nombreuses années de cela.

J’ai déjà vu deux films d’Ulrich Seidl (Import Export et Paradis : Amour) et suis allé voir ce film en connaissance de cause : ce sera quoiqu’il arrive, du cinéma très déprimant. Ses personnages sont d’une tristesse infinie, soit des minables, soit des miséreux, les lieux dans lesquels ils vivent, leurs interactions entre eux sont toujours sordides, glauques : il faut avoir le cœur bien accroché. Je précise que, si certaines personnes ne supportent pas ce genre de noirceur au cinéma, moi je trouve cela plutôt bien : je n’y vais certes pas pour chasser mes idées noires mais on peut faire des films remarquables même avec un tel parti pris. Voir les films de quelqu’un comme Andreï Zvyagintsev par exemple ou les précédents films de Seidl.

Comme prévu, tout est fait pour nous montrer la misère sous toutes ces formes. La location d’abord. Rimini est une station balnéaire sans charme de la côte Adriatique où il n’y a à peu près rien l’hiver, sauf des hôtels miteux aux trois quarts vides qui accueillent des groupes de personnes âgées venues écouter comme des groupies les prestations d’un Richie tout habillé de paillettes chantant ses chansons sirupeuses en faisant du gringe aux rombières du public. Il y fait gris, il y a du vent, de la neige, les plages sont désertées bien entendu et les seuls personnes qu’on voit dans la rue sont des noirs immigrés misérables qui dorment probablement dehors et qui se gèlent en attendant je ne sais quoi.

Les personnages, dans leur attitude ou leur situation ne relèvent pas le niveau. Le père de Richie est abandonné dans un hôpital gériatrique atteint de la maladie d’Alzheimer, les scènes prostitutionnelles (avec gigolo et cliente féminine, un classique chez Seidl qui nous en avait déjà montré dans Paradis : Amour) sont déprimantes au dernier degré, la petite scène où Richie fait des mamours au petit bébé noir de sa femme de ménage (qui n’a pas d’autre choix que de prendre son enfant avec elle quand elle va travailler) en lui chantant des chansons racistes est atroce, le chantage exercé par la fille de Richie n’est pas glorieux, celui exercé par Richie à la fin sur un autre personnage est abject, tout cela transpire la misère sous toute ses formes : morale, sociale, financière, affective …

Encore une fois, je comprends très bien que les lignes ci-dessus ne fassent pas envie mais moi, non seulement je m’y attendais mais cela ne m’a pas détourné du film. Ce qui va orienter mon jugement sur l’œuvre est la manière dont tout cela est agencé et la trame de scénario que Seidl va plaquer là-dessus. Et là je dois admettre que le compte n’y est, à mon avis, pas tout à fait.

D’abord, les divers éléments du film ne s’articulent pas toujours bien. L’histoire du père de Richie ne sert à rien sauf à remettre une louche de déprime qui n’était pas vraiment nécessaire. Cela rend la scène introductive en Autriche superflue (encore une autre location – un petit village misérable pour un enterrement sinistre – triste à mourir) et surtout cela retarde le départ de l’action jusqu’au milieu du film car cette intro est suivie d’une longue séquence où on nous explique la vie quotidienne, le job et la routine de Richie Bravo. Ce n’est vraiment qu’après l’apparition du personnage de Tessa que l’action démarre.

Maintenant, cette action amène un petit suspense, en rajoute une couche pour montrer combien Richie est un être méprisable (même si on n’attendais pas grand chose de lui) mais n’est à mon avis pas assez développée, et souffre d’incohérence qui m’ont empêché d’y croire complètement. Pourquoi Richie accepte avec autant de facilité les demandes de Tessa – on a vu que ce ne sont pas les scrupules qui l’étouffent, il aurait très bien pu renvoyer sa fille aux pelotes, pour l’amour qu’il lui a témoigné pendant les ving premières années de sa vie … – ? A quoi sert, et que veut dire la scène du squat de la fin ? Ce n’est pas très clair, cela donne au film un côté bancal et m’a en fin de compte laissé un goût d’inachevé; en fait l’action qui aurait dû habiller le film m’a semblé plutôt anecdotique et je doute que ce soit le but recherché.

L’acteur Michael Thomas est impeccable dans le rôle de Richie Bravo, empâté, séducteur à deux balles comme il le faut, en un mot pathétique (au sens propre : qui génère du pathos), il est formidablement crédible dans ce rôle, plus à mon avis que le grand Gérard Depardieu dans un rôle similaire dans Quand j’étais chanteur, un film qui a des points communs avec Rimini mais qui ne va pas aussi loin si j’ose dire pour nous montrer la misère affective des personnages.

Avec son scénario pas trop crédible, Rimini serait plutôt un film d’atmosphère : c’est vraiment ce que Seidl fait de mieux et très honnêtement, il le fait bien. C’est donc bien cette négativité qui est l’élément positif du film d’un réalisateur singulier, doué dans son domaine, auquel je conserve ma confiance. Quant à la petite ville de Rimini, la pauvre, la voilà habillée pour l’hiver adriatique. J’en avais entendu parler pour la toute première fois par l’histoire fabuleusement romantique de Paolo et Francesca, j’ai découvert ensuite que c’était la petite ville de province désœuvrée où se passait l’action des Vitelloni de Fellini, et voilà maintenant que je la vois comme la ville de résidence de Richie Bravo. Et croyez bien que je n’ai pas spécialement envie d’y passer mes prochaines vacances, et cela même en été.