La salle des profs (2023) d’İlker Çatak

Je suis allé voir ce soir un film nouvellement sorti – cela change des classiques du BFI – qui a fait un tabac dans son pays d’origine, l’Allemagne, et qui a essaimé un peu partout avec pas mal de succès, en France certes, mais aussi au Royaume-Uni où il a été projeté au Ciné Lumière. Il s’agit de La salle des profs, en allemand Das Lehrerzimmer, quatrième film du réalisateur İlker Çatak.

Carla Nowak est professeure de mathématique et de gymnastique dans un collège de Hambourg. Dans cet établissement ont lieu cependant des vols de menus objets, parfois d’argent pour lesquels tout le monde, élèves comme profs ainsi que le personnel est suspect. Pour essayer de démasquer le coupable et surtout de faire cesser ces petits larcins qui empoisonnent la vie de tout le monde, chacun va s’employer à faire éclater la vérité en employant au besoin des méthodes peut-être pas répréhensibles mais très certainement maladroites.

Le film commence comme un thriller puisqu’il s’agit de découvrir l’identité du coupable d’un délit absolument dérisoire, qui va se transformer en film quasiment d’horreur au vue du désastre que le bonne volonté – couplée à de l’intransigeance – des acteurs va causer. C’est un film au scénario (que je ne veux vraiment pas divulgâcher) très serré, qui enfile les péripéties qui ont toutes pour objectif de faire empirer la situation jusqu’à la rendre intenable. C’est vraiment bien fait. On ne s’ennuie jamais et on est même terrorisé par la tournure que prennent les événements non pas – rappelons le – dans un lieu glauque à la Chabrol mais dans un endroit beaucoup moins susceptible de susciter ce genre d’angoisse : la salle des profs d’un collège allemand. Çatak n’en a visiblement cure et nous déroule le scénario de son huis clos (la caméra ne sort pas de l’enceinte du collège) avec un art consommé du suspense.

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Du suspense certes, mais aussi du rythme. Ce qui aide à rendre le film oppressant est le rythme infernal que lui imprime Çatak. Découpage serré, multiple plans sur un personnage, Carla le plus souvent, qui entre d’un pas décidé dans une salle et qui annonce un nouveau sursaut scénaristique, répliques du tact au tac et surtout, excellente musique signée Marvin Miller qui accompagne ce mouvement : en gros, le soin apporté au scénario et le savoir-faire pour en faire s’enchaîner les épisodes sur un rythme effréné qui ne faiblit jamais, fait qu’on reste complètement scotché dans son fauteuil pendant une heure quarante pour – rappelons-le – savoir qui a dérobé des stylos ou des pièces de monnaie dans un collège de Hambourg. Et le fait qu’on ne sache pas le fin mot de cette histoire à la fin n’a aucune importance : on s’est fait happer pendant tout ce temps sans pouvoir se défaire du sort que nous a jeté le réalisateur pour nous intéresser à son histoire.

Maintenant, on peut aussi se questionner sur ce que le film nous dit de la vie dans ce collège et de notre société en général (le film se passe en Allemagne mais très honnêtement, je crois volontiers qu’il aurait pu se dérouler en France sans changer quoi que ce soit). Les personnages ont chacun une idée assez affirmée de la justice, avec laquelle il ne feront aucun compromis. Quels moyens sont bons pour attraper un petit voleur ? A partir de quel degré de doute peut-on accuser quelqu’un sans preuve formelle ? Faut-il renier une partie de ses principes, voire de son honneur pour favoriser la concorde ? A l’exception de Carla, personnage central, deus ex-machina du scenario mais aussi le seul personnage qui soit un peu conciliant, tout le monde est jusqu’au-boutiste : les profs, la personne accusée, les parents d’origine immigrée qui crient au racisme sans trop essayer de comprendre, les enfants qui veulent défendre à tout prix ce qu’ils pensent être leur honneur. C’est évidemment cette intransigeance, ce manque d’écoute, d’empathie (au sens de « se mettre à la place de l’autre pour essayer de ressentir ce qu’il ressent ») qui alimente l’escalade et qui à mon avis est dénoncée ici. J’y ai vu aussi un cri d’admiration pour ces professeurs qui ont un métier aussi éprouvant, et qui demande autant d’attention, de répartie (pour ne pas perdre la face et conserver son autorité), de capacité d’encaissement (pendant la réunion parents-profs), d’abnégation (pour toujours repartir même après les coups bas) et puis aussi, pour le personnage de Carla, de bienveillance envers des ados sans pitié, prêts à exploiter chacune de ses faiblesses. On pourra toujours objecter que le film est tout de même un fable. Soit ! Mais la morale de cette fable va dans mon sens de louer le courage exemplaire de ces professeurs confrontés au quotidien à une telle pression. J’ai aussi lu, dans une interview de Çatak au Monde que le film dénoncerait aussi un certain racisme (dont même un racisme anti-polonais, Carla étant d’origine polonaise) ainsi qu’une certaine forme de cancel culture. Je veux bien le croire si c’est le réalisateur qui le dit mais je confesse n’avoir absolument rien vu passer dans ce domaine là.

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L’actrice qui joue le rôle de Carla Nowak s’appelle Leonie Benesch et est tout simplement géniale. Elle incarne avec l’énergie nécessaire ainsi qu’un certain sens de la fatalité – sinon comment réussirait-elle à toujours repartir sans craquer complètement – cette prof exemplaire et éminemment sympathique qui peut encaisser toutes ces avanies sans broncher. Je l’avais déjà vue puisqu’elle jouait déjà l’un des rôles principaux dans le film d’Haneke Le ruban blanc mais je dois admettre, à ma grande honte, que je ne m’en souviens plus.

Les raisons qui président au succès d’un film, même un bon film comme celui-ci, sont insondables mais il semble que les bonnes fées se soient penchées sur le berceau de La salle des profs. Le film a tout raflé au Deutscher Filmpreis 2023, l’équivalent des Césars outre-Rhin (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleur actrice et meilleur montage), la France a fait honneur au film, le Royaume-Uni aussi et il aura poursuivi sa carrière jusqu’au Oscars où il a représenté l’Allemagne pour le meilleur film étranger, sans recevoir de statuette. C’est bien mérité, et cela m’aura permis de placer sur mon radar İlker Çatak, réalisateur prometteur qui porte haut le flambeau d’un cinéma allemand qu’on n’a pas souvent l’occasion de voir sur les écrans.

2 réflexions sur “La salle des profs (2023) d’İlker Çatak

  1. Je vois nous sommes synchro pour nous cloisonner « entre les murs » d’un établissement scolaire. 😉
    Je n’ai Pas poussé encore les portes de cet établissement hambourgeois, et j’avoue que je m’y serais précipité plus tôt si j’avais lu ton article. La problématique me semble assez bien traitée. À voir donc.

    • Oui, à voir à mon avis. Je vais me pencher sur ton entre les murs avec curiosité. Curiosité critique car je me souviens à l’époque avoir pensé qu’on en faisait beaucoup dans l’emphase alors que les autres films de Cantet étaient passés relativement inaperçus. À lire donc

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