Passeport pour Pimlico (1949) d’Henry Cornelius

1949 est une année glorieuse pour les studios Ealing, c’est vraiment l’année où ils vont imprimer leur marque et où le concept des « Ealing Comedies » va être porté sur les fonts baptismaux. La même année sortent en effet sur les écrans trois de ses opus les plus mémorables : Kind hearts and coronets (Noblesse oblige, vu la semaine dernière), Whisky galore (à voir la semaine prochaine) et donc, pour ce soir, Passport to Pimlico, un film signé du réalisateur Henry Cornelius.

Dans le Londres de l’après guerre, plus précisément dans le quartier de Pimlico, une bombe non explosée découvre, lorsqu’elle finit par exploser accidentellement, un caveau enfoui contenant un trésor ainsi qu’un coffre contenant un curieux parchemin. Evidemment, tout ceux qui ont participé de près ou de loin à cette découverte veulent s’approprier le trésor, mais au cours du procès qui doit finalement statuer, la professeure Hatton-Jones, une éminente historienne à qui a été confié le déchiffrement du parchemin, va mettre tout le monde d’accord : ce parchemin est une charte, accordée en 1482 par le roi Edouard IV au duc de Bourgogne Charles le Téméraire (qui n’est pas mort en 1477 comme les historiens le pensaient) et qui lui octroie, ès qualité, la possession de la maison et du terrain autour de l’endroit où il s’est réfugié. Comme cette charte, demeurée inconnue, n’a jamais été révoquée, elle est encore valide ce qui signifie que le quartier de Pimlico, et son trésor, n’appartiennent pas à la couronne britannique mais est une enclave indépendante rattachée au duché de Bourgogne, et donc dirigée par le descendant du duc de Bourgogne et ce qu’il voudra bien conférer à ses sujets.

passport

Deux choses pour éclairer l’affaire. D’abord, Pimlico est un quartier du sud de Londres qu’on peut comparer en gros au quatorzième arrondissement de Paris. Ensuite, le film se comprend si on est familier avec l’invraisemblable common law anglaise qui dit, en gros, que tout texte de loi aussi délirant soit-il, si il n’a pas été officiellement révoqué, reste valide. Il n’y a pas ou peu de hiérarchie des lois (le pays n’a pas de constitution) au Royaume Uni, le droit anglais n’est pas le droit romain mais est un droit très jurisprudentiel qui résulte de la compilation des décisions de justice prises au cours des siècles en interprétant une loi. Un jour, en visitant la cathédrale de Salisbury, un guide m’a expliqué qu’il a été très difficile de rendre la Tamise navigable au XIXème siècle car il était interdit d’y construire des « weirs » (un weir est un petit barrage au dessus duquel l’eau s’écoule) pour se conformer à un article de la Magna Carta, le texte fondateur de la législation anglaise datant de 1215, qui stipule « All fish-weirs are in future to be entirely removed from the Thames (…) » (Magna Carta dont la cathédrale de Salisbury conserve un des quatre exemplaires restant). Le blocage a subsisté jusqu’à ce qu’un avocat malin explique qu’il n’était pas question de construire des « weirs » mais plutôt des « dams » (en anglais des barrages, en général plus gros que les weirs) et tout le monde a alors approuvé. Je ne sais pas si l’histoire des « dams » est vraie mais les « weirs » dans la Magna Carta le sont. Tout ce laïus pour dire que l’histoire que nous raconte le film est certes délirante mais elle est surtout plausible, ce qui la rend encore plus savoureuse.

Une fois ces précisions apportées, disons le clairement : le synopsis esquissé ci-dessus est tout simplement GENIAL, non ? La personne qui a eu l’idée de cette amorce de scénario – car c’est une amorce, il reste encore 80% du film lorsque Pimlico devient indépendant – n’est rien moins qu’un scénariste génial, T.E.B Clarke pour le nommer, en tout cas c’est mon avis, et cela d’autant plus que cette idée est portée de bout en bout : le film tient le rythme des situations gaguesques jusqu’à la fin sans s’essouffler. C’est une réussite complète, pas comme d’autres films frustrants où une idée de départ tout aussi géniale a fait flop peu après avoir été exposée.

passport1

Le film donne le ton des Ealing Comedies, il est souvent décrit comme la plus « Ealingesque » de la série. On y trouve un mélange d’une extrême loufoquerie, à laquelle on lâche complètement la bride, avec les images du réel. On nous montre au début le quartier – pas de Pimlico mais de Lambeth, à un jet de pierre, de l’autre côté de la Tamise – avec des pâtés de maison entiers rayés de la carte par les bombardements, il comporte de nombreuses scènes tournées in situ, on a des images du Londres de cette époque avec la Tamise ou Big Ben. Egalement, certains plans nous montrent des unes de journaux d’époque (unes de journaux reconstituées certes mais qui « font vrai »), on nous projette même, dans un cinéma, des fausses actualités produites par la Gaumont. Enfin, le film comporte quelques images d’archive saisissantes comme Winston Churchill sortant de Downing Street et des manifestations monstre sur Trafalgar Square et les bus londoniens dont le 24 dont le terminus est Pimlico (c’est toujours le cas) ce qui lui confère un côté documentaire qu’on n’aurait pas imaginé au premier abord. En tout cas, qu’on se le dise : l’humour absurde des Ealing Comedies en général et de Passport to Pimlico en particulier n’est pas l’humour absurde des Monthy Python. Dans Passport to Pimlico, on n’est pas dans un endroit éthéré à une époque ancienne pas ou peu reconstituée, en est tout simplement à Pimlico, en 1949. C’est le choix fait par le producteur, les studios et le scénariste et ce sera repris dans des comédies ultérieures (dont The ladykillers, la seule que j’aie vu jusqu’à présent).

Le tournage s’est déroulé pendant l’été 49, qui fut un été pluvieux, c’est d’autant plus amusant le scénario se déroule pendant une vague de chaleur qui n’avaient rien à voir avec les conditions réelles. Ce choix de la vague de chaleur est cause de quelques gags assez réussis dont le phénoménal twist final qui m’a fait hurler de rire. Comme dans Kind hearts and coronets, comme dans The ladykillers, la fin, élément très difficile à réussir dans un film de ce type, est remarquablement trouvée, une plume supplémentaire à ajouter à la panoplie déjà bien fournie de T.E.B Clarke, le scénariste.

passport2

Je ne connaissais quasiment aucun des acteurs du film qui est plus un film de troupe qu’un film d’acteurs. Il n’y a pas, comme en France, pléthore de personnages hauts en couleur, jusque dans les seconds rôles, chacun avec ses répliques ciselées, mais plutôt un jeu d’ensemble où chacun joue la partition d’un orchestre qui donne cet objet filmique hilarant. Il y a certes quelques répliques d’anthologie mais elles sont rares (« We always were English and always will be English and it’s just because we are English that we’re sticking up for our right to be Burgundian! » – je n’ai pas pu m’empêcher de la citer). La seule exception à cette règle serait l’actice Margareth Rutherford qui joue le rôle de la complètement dingue, et désopilante, professeure Hatton-Jones. L’acteur Stanley Holloway joue le rôle de Pemberton, le premier ministre de la Bourgogne et les envoyés du gouvernement central Gregg et Straker sont interprétés par le fameux couple Basil Radford et Naunton Wayne, que j’avais déjà vu plus tôt cette année dans Une femme disparaît. Autre nom connu au générique, la musique du grand George Auric, un habitué des Ealing Comedies puisqu’il a déjà signé celle de la première d’entre elles, Hue and cry, vue il y a deux semaines.

Voilà, la série des Ealing Comedies continue sur sa lancée pour mon plus grand bonheur, avec aujourd’hui celle des quatre que j’ai jusqu’à présent préféré. Servi par un scénario hallucinant (les fans du chanteur Renaud auront reconnu l’allusion discrète à la chanson Le blues de la Porte d’Orléans lorsque je compare Pimlico au quatorzième arrondissement de Paris), et une réalisation impeccable, l’opus de cette semaine a tenu toutes ses promesses et j’ai encore une longue semaine à attendre pour découvrir le prochain opus au titre d’ailleurs appétissant : Whisky à gogo!