Je suis allé voir ce soir le quatrième film, par ordre chronologique, de la filmographie de François Truffaut, un de ses films que je n’avais jamais vu auparavant – ce qui est rare -. Ce film, c’est La peau douce, film plus méconnu et moins flamboyant que le film qui l’a précédé, Jules et Jim, mais film d’un grand intérêt comme je vais vous l’expliquer.
Pierre Lachenay est un éditeur de revue renommé et auteur d’essais sur les grands écrivain, marié avec une petite fille. Un homme bourgeois, bien inséré dans la société, comblé avec une vie somme toute tranquille. Lors d’une conférence à Lisbonne, il va séduire et également tomber amoureux de Nicole, une hôtesse de l’air avec laquelle il va commencer une relation adultère, qu’il va essayer à tout prix et non sans mal de dissimuler au reste du monde.
Voici donc un film avec un scénario très simple et d’ailleurs écrit très vite, en un mois, par un homme qui secondera Truffaut sur un certain nombre de ses films à venir, comme scénariste mais aussi comme acteur (dans un rôle secondaire) : Jean-Louis Richard. Il s’agit « simplement », si je puis dire, de raconter une histoire d’adultère, histoire linéaire avec quelques petites péripéties mais qui se recentre toujours sur l’intrigue centrale qui est la liaison de Pierre et Nicole.
C’est un film qui possède un caractère hitchcockien dans la mesure où le spectateur est habilement tenu en haleine dans des saynètes qui auraient pu être tragiques mais où en fait il ne se passe rien. Ainsi le télégramme écrit mais jamais envoyé, la disparition de Nicole à la station service … pour changer de vêtements ou encore l’arrivée impromptue de la « jeune fille » au dîner de réception … pour demander un autographe : quand on le raconte, tout cela paraît dérisoire mais le fait est que pendant la projection, c’est filmé tellement adroitement qu’on a réellement l’impression que quelque chose de grave va arriver, on se trompe certes mais le « mal » est fait, notre attention a été captée, suspendue pendant la minute qui a précédé. Cela donne du relief au film mais ce relief est amené en douceur, presque sans qu’on s’en aperçoive, à tel point que la seule réserve que j’émettrais sur ce film est sa fin brutale, où ce contrat est en quelque sorte rompu, une fin trop chabrolienne à mon goût dans un film forcément truffaldien.
Et la filmographie de servir aussi ce dessein d’exprimer, de montrer cette adultère par petites touches, sans grande pompe, sans employer les grands moyens. On a des plans courts mais suggestifs sur des détails sans importance mais qui résonnent dans l’esprit du spectateur : une main qui allume et éteint un interrupteur dans une chambre d’hôtel, cette même main qui passe les vitesses (au volant) d’une DS Citroën, une hôtesse de l’air qui change de chaussures avant l’atterrissage, des plans élégants d’avions en vol, des clés de chambre au numéro mis en évidence, des voitures qui roulent, on a d’élégants travelling qui prennent leur temps, on a surtout des gros plans sur le visage perplexe de Pierre, sur celui inquiet de Nicole, dans tous les cas des personnages qui se posent des questions tout comme le spectateur qui sait quelque part que tout cela va mal finir mais qui ne sait ni quand, ni comment. En tout cas ce sont cette accumulation de détails, d’attitudes, de scènes furtives de tous les jours qui construisent imperceptiblement l’intrigue, avec beaucoup de doigté, de subtilité.
Et cette subtilité est renforcée par la formidable musique de Georges Delerue. Pas une musique spectaculaire, pas une musique qu’on fredonne en sortant du film mais une musique fonctionnelle dans le meilleur sens du terme, c’est à dire une musique qui fait le boulot qu’on lui a assigné c’est à dire d’accompagner l’action de guider le spectateur en suggérant ce qu’il doit ressentir. La comme d’habitude remarquable caméra de Raoul Coutard use d’un noir et blanc de bon aloi pour filmer cette histoire triste, de gens somme toute assez veules avec lesquels j’ai quand même ressenti, non pas de la sympathie, mais une certaine forme de compassion pour la situation inextricable dans laquelle il s’étaient eux-même fourrés.
Les acteurs sont impeccables. C’est un grand comédien de théâtre, rare au cinéma, qui joue le rôle de Pierre Lachenay, Jean Dessailly. Un personnage pusillanime, qui ne saura jamais choisir entre sa liaison et son statut social, un homme discret, passe-muraille mais qui sait exprimer son indécision et le dilemme qui est le sien merveilleusement lorsque la caméra de Coutard s’attarde sur son visage, lorsqu’il effectue des gestes insignifiants comme chausser ses lunettes. Nicole est jouée par Françoise Dorléac, elle aussi remarquable en jeune fille indécise. Elle nous raconte sa vie amoureuse lors d’une scène où elle nous explique qu’elle n’a jamais vraiment aimé et que toutes ses histoires d’amour ne furent que des expériences, et elle oscille constamment pour savoir si celle qu’elle est en train de vivre en est une ou pas. Dorléac parvient avec beaucoup de métier à maintenir cette incertitude, et le suspense avec lui, jusqu’au bout. Aucun de ces deux là n’a un rôle flamboyant ce qui rend beaucoup plus difficile leur tâche d’exprimer des sentiments forts avec peu de moyens, par petites touches encore une fois et force est de constater qu’ils y arrivent très bien : le couple parvient à trouver le ton juste pour nous captiver avec cette histoire, somme toute banale, de gens, après tout banals.
Comme vous l’avez remarqué, j’aime beaucoup le film, je crois que ce que j’aime le plus c’est sa modestie, sa tenue. La critique lui a réservé un accueil plutôt – mais pas unanimement – positif, le film a été sélectionné au festival de 1964 mais c’est l’autre sœur Dorléac qui a mis tout le monde d’accord avec Les parapluies de Cherbourg. Le succès en salle, lui, n’a pas été au rendez-vous. Moi je salue l’artiste d’avoir « osé » remiser au placard toute fioriture pour faire un film « sérieux » et sur un sujet grave et prenant. Je reprendrai en formule de fin la conclusion de Gilles Jacob dans la critique de Sight and Sounds citée dans la notice du BFI que j’approuve complètement : après l’enfance tourmentée des quatre-cents coups, les gangsters zinzins de Tirez sur le pianiste, l’insouciance adolescente de Jules et Jim, « Truffaut a fait, dans un film sur l’adultère, son premier film d’adulte ». On ne saurait mieux dire.