Le titre américain de ce film est « The Palm Beach story« , encore un titre de film en « story », un peu comme « The Philadelphia story » (Indiscrétions, 1940 de George Cukor). C’est une comédie américaine sortie en pleine deuxième guerre mondiale et faisant partie du cycle Preston Sturges qui passe dans un de mes cinémas de prédilection : le BFI.
Gerry est l’épouse un peu fofolle, en tout cas qui ne se rend pas compte des conséquences de ses actes, de Tom (Tom et Gerry, cela ne s’invente pas), un inventeur plein d’idées mais au sens des affaires discutable, à tel point que le jeune couple est couvert de dettes et s’apprête à être explusé de la suite qu’ils occupent dans un hôtel de Park avenue (vous me direz, ils auraient pu choisir moins cher). Suite à quelques péripéties et pour « rendre service » à son mari pour qu’il n’ait plus à entretenir une princesse aussi dispendieuse qu’elle, Gerry décide de prendre le train pour Palm Beach qui est, soi-disant, la ville des Etats-Unis où il est le plus facile de divorcer, pour casser son mariage. Et tant qu’à faire, elle va aussi essayer de se trouver un milliardaire qu’elle pourra épouser et lui demander, peut-être de donner un coup de pouce à son ex-mari, en lui subventionnant grassement une de ses inventions. Un plan bien conçu qui me demandait qu’à fonctionner parfaitement si … l’amour ne venait à s’en mêler.
Le film est une screwball comédie bon teint où ça court, ça vole un peu partout et à la fin, ça se finit par un mariage. Sturges est un habitué du genre car il en a déjà écrit plusieurs. Il est en effet considéré comme le premier réalisateur hollywoodien à être entré dans l’usine à rêves par le scénario avant de passer à la réalisation. Une trajectoire que le grand Billy Wilder suivra peu après. The Palm Beach story est le cinquième film de Sturges réalisateur et il est à cette époque au sommet de sa gloire. Il venait d’obtenir sa première nomination aux Oscars (pour le meilleur scénario) pour The great McGinty deux ans plus tôt est ses quatre premiers films avaient tous été des succès.
La comédie est plaisante, plutôt drôle sans être désopilante et avec quelques répliques qui font vraiment mouche : » – On ne se marie pas avec quelqu’un qu’on a rencontré la veille, enfin pas moi ! – Mais c’est la seule façon mon cher, si tu en sais trop sur eux, tu ne les épouserais jamais » ou encore « Il n’y a rien qui importe pour moi qu’un peu d’argent ne pourrait résoudre ». Le film, comme toute bonne screwball comedy en est truffé et ces répliques sont déclamées avec délectation – et avec le ton qu’il faut – par des acteurs épatants.
D’abord, Claudette Colbert dans le rôle de Gerry. Claudette Colbert est une légende du cinéma hollywoodien. Elle est peut-être peu connue des jeunes générations, comme on dit, mais le classement des plus grandes stars hollywoodiennes de l’American Film Institute la place douzième, devant Grace Kelly s’il vous plait. Elle a occupé le haut de l’affiche pendant vingt ans – A Hollywood comme à Broadway -. Née Emilie Chauchoin (elle a bien fait de changer son nom de scène) à Saint Mandé près de Paris, sa famille émigre aux Etats-Unis où elle arrive en 1906 à l’âge de trois ans. A l’époque du film, elle est à Hollywood depuis quinze ans et depuis huit ans (1934 et New York Miami de Franck Capra et ses cinq oscars), c’est une super star.
The Palm Beach story est un film véritablement à sa mesure. Une screwball comedy comme celles qui ont fait ses succès avec un rôle de petite femme à la fois pétillante, malicieuse mais aussi intrigante et pour tout dire plutôt vénale. Elle est idéale dans ce rôle encore magnifié par les répliques ciselées que le scénariste Sturges met dans sa bouche qu’elle profère avec délectation. Un choix idéal pour l’unique collaboration entre Colbert et Sturges où ce dernier a pu obtenir le meilleur de sa star – qu’il a payée à prix d’or-.
Le rôle de Tom est joué par Joel McCrea. Si son nom ne nous est pas vraiment familier, c’est un acteur qui va tout de même faire cinquante ans de carrière à Hollywood, dans des films qui ne feront jamais les sommets du box office mais qui sont loin d’être déshonorants. Il tournera dans Foreign correspondent d’Alfred Hitchcock par exemple, ce n’est déjà pas mal. La notoriété de toute façon, à cette époque comme à la notre se mesure au cachet de l’acteur: Joel McCrea touchera 60 000 $ pour ce rôle tandis que Colbert touchera 150 000$. Tout est dit !
Pour sa deuxième collaboration avec Sturges après le succès de Sullivan’s travel, McRea est parfait pour ce rôle : mari aimant mais gauche, emporté, naïf quelquefois, que sa femme arrive sans trop de mal à mener par le bout du nez et qui est en fin de compte profondément touchant. C’est la condition sine qua non pour emporter l’adhésion dans ce genre de film: être touchant, attirer la sympathie du public ce dont McCrea s’acquitte avec brio. Contrat rempli donc.
Et tout cela tourne rond. La mécanique de la comédie bien huilée, les gags qui fusent, les répliques spirituelles, les acteurs idoines, The Palm Beach story est une bonne screwball comedy qui fait le job qu’on attendait d’elle c’est à dire de faire tout simplement rire. Je dois admettre qu’on ne se roule pas par terre mais on rigole quand même bien et on aurait certainement tort de bouder ce plaisir là.
Et pour finir ce post sur une comédie par un petit paragraphe … comique. Pourquoi ne pas parler des déboires de Sturges, à la sortie du film, avec la censure – une grand source de comique involontaire pour le Hollywood de cette époque- ? Le titre original auquel Sturges avait pensé était ‘Is marriage necessary ?’. Tout un programme. Shock horror ! Le comité de censure a intimé l’ordre à Sturges de le changer toutes affaires cessantes pour le beaucoup plus neutre ‘The Palm Beach story’ de façon à ce que la morale soit sauve. De plus, le film contenait beaucoup trop d’allusions sexuelles immorales qu’il ne convenait pas de projeter sur les écrans de l’époque. La Paramount, le studio qui a produit le film a paniqué et lorsqu’elle a reçu la cahier des doléances du comité de censure, son ‘decency expert’ Luigi Luraschi (sic ! A tout le moins Luraschi est désigné comme tel dans la notice du BFI et le livre The life and art of Preston Sturges) convoque tout le monde pour décider de modifications pour obtenir l’imprimatur du Hays Office. Quelques coupes hardies furent opérées lorsque par exemple le nombre de mariages de la princesse Centimillia a été réduit de huit à trois (plus deux annulations: cela change tout !) mais l’essentiel a en grande partie été préservé. Si des répliques comme « Vous n’avez pas idée de ce que peut faire un fille aux longues jambes sans rien faire du tout » ont été acceptées, on imagine que la session finale du comité de censure a fait preuve de tolérance.
C’est ce qui nous donne cette jolie comédie d’un talentueux réalisateur de son époque un peu injustement oublié. J’ai encore deux autres Sturges à voir dans le cadre de cette rétrospective, je les attends avec impatience.