Madame et ses flirts (1942) de Preston Sturges

Le titre américain de ce film est « The Palm Beach story« , encore un titre de film en « story », un peu comme « The Philadelphia story » (Indiscrétions, 1940 de George Cukor). C’est une comédie américaine sortie en pleine deuxième guerre mondiale et faisant partie du cycle Preston Sturges qui passe dans un de mes cinémas de prédilection : le BFI.

Gerry est l’épouse un peu fofolle, en tout cas qui ne se rend pas compte des conséquences de ses actes, de Tom (Tom et Gerry, cela ne s’invente pas), un inventeur plein d’idées mais au sens des affaires discutable, à tel point que le jeune couple est couvert de dettes et s’apprête à être explusé de la suite qu’ils occupent dans un hôtel de Park avenue (vous me direz, ils auraient pu choisir moins cher). Suite à quelques péripéties et pour « rendre service » à son mari pour qu’il n’ait plus à entretenir une princesse aussi dispendieuse qu’elle, Gerry décide de prendre le train pour Palm Beach qui est, soi-disant, la ville des Etats-Unis où il est le plus facile de divorcer, pour casser son mariage. Et tant qu’à faire, elle va aussi essayer de se trouver un milliardaire qu’elle pourra épouser et lui demander, peut-être de donner un coup de pouce à son ex-mari, en lui subventionnant grassement une de ses inventions. Un plan bien conçu qui me demandait qu’à fonctionner parfaitement si … l’amour ne venait à s’en mêler.

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Le film est une screwball comédie bon teint où ça court, ça vole un peu partout et à la fin, ça se finit par un mariage. Sturges est un habitué du genre car il en a déjà écrit plusieurs. Il est en effet considéré comme le premier réalisateur hollywoodien à être entré dans l’usine à rêves par le scénario avant de passer à la réalisation. Une trajectoire que le grand Billy Wilder suivra peu après. The Palm Beach story est le cinquième film de Sturges réalisateur et il est à cette époque au sommet de sa gloire. Il venait d’obtenir sa première nomination aux Oscars (pour le meilleur scénario) pour The great McGinty deux ans plus tôt est ses quatre premiers films avaient tous été des succès.

La comédie est plaisante, plutôt drôle sans être désopilante et avec quelques répliques qui font vraiment mouche :  » – On ne se marie pas avec quelqu’un qu’on a rencontré la veille, enfin pas moi ! – Mais c’est la seule façon mon cher, si tu en sais trop sur eux, tu ne les épouserais jamais » ou encore « Il n’y a rien qui importe pour moi qu’un peu d’argent ne pourrait résoudre ». Le film, comme toute bonne screwball comedy en est truffé et ces répliques sont déclamées avec délectation – et avec le ton qu’il faut – par des acteurs épatants.

D’abord, Claudette Colbert dans le rôle de Gerry. Claudette Colbert est une légende du cinéma hollywoodien. Elle est peut-être peu connue des jeunes générations, comme on dit, mais le classement des plus grandes stars hollywoodiennes de l’American Film Institute la place douzième, devant Grace Kelly s’il vous plait. Elle a occupé le haut de l’affiche pendant vingt ans – A Hollywood comme à Broadway -. Née Emilie Chauchoin (elle a bien fait de changer son nom de scène) à Saint Mandé près de Paris, sa famille émigre aux Etats-Unis où elle arrive en 1906 à l’âge de trois ans. A l’époque du film, elle est à Hollywood depuis quinze ans et depuis huit ans (1934 et New York Miami de Franck Capra et ses cinq oscars), c’est une super star.

The Palm Beach story est un film véritablement à sa mesure. Une screwball comedy comme celles qui ont fait ses succès avec un rôle de petite femme à la fois pétillante, malicieuse mais aussi intrigante et pour tout dire plutôt vénale. Elle est idéale dans ce rôle encore magnifié par les répliques ciselées que le scénariste Sturges met dans sa bouche qu’elle profère avec délectation. Un choix idéal pour l’unique collaboration entre Colbert et Sturges où ce dernier a pu obtenir le meilleur de sa star – qu’il a payée à prix d’or-.

Le rôle de Tom est joué par Joel McCrea. Si son nom ne nous est pas vraiment familier, c’est un acteur qui va tout de même faire cinquante ans de carrière à Hollywood, dans des films qui ne feront jamais les sommets du box office mais qui sont loin d’être déshonorants. Il tournera dans Foreign correspondent d’Alfred Hitchcock par exemple, ce n’est déjà pas mal. La notoriété de toute façon, à cette époque comme à la notre se mesure au cachet de l’acteur: Joel McCrea touchera 60 000 $ pour ce rôle tandis que Colbert touchera 150 000$. Tout est dit !

Pour sa deuxième collaboration avec Sturges après le succès de Sullivan’s travel, McRea est parfait pour ce rôle : mari aimant mais gauche, emporté, naïf quelquefois, que sa femme arrive sans trop de mal à mener par le bout du nez et qui est en fin de compte profondément touchant. C’est la condition sine qua non pour emporter l’adhésion dans ce genre de film: être touchant, attirer la sympathie du public ce dont McCrea s’acquitte avec brio. Contrat rempli donc.

Et tout cela tourne rond. La mécanique de la comédie bien huilée, les gags qui fusent, les répliques spirituelles, les acteurs idoines, The Palm Beach story est une bonne screwball comedy qui fait le job qu’on attendait d’elle c’est à dire de faire tout simplement rire. Je dois admettre qu’on ne se roule pas par terre mais on rigole quand même bien et on aurait certainement tort de bouder ce plaisir là.

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Et pour finir ce post sur une comédie par un petit paragraphe … comique. Pourquoi ne pas parler des déboires de Sturges, à la sortie du film, avec la censure – une grand source de comique involontaire pour le Hollywood de cette époque- ? Le titre original auquel Sturges avait pensé était ‘Is marriage necessary ?’. Tout un programme. Shock horror ! Le comité de censure a intimé l’ordre à Sturges de le changer toutes affaires cessantes pour le beaucoup plus neutre ‘The Palm Beach story’ de façon à ce que la morale soit sauve. De plus, le film contenait beaucoup trop d’allusions sexuelles immorales qu’il ne convenait pas de projeter sur les écrans de l’époque. La Paramount, le studio qui a produit le film a paniqué et lorsqu’elle a reçu la cahier des doléances du comité de censure, son ‘decency expert’ Luigi Luraschi (sic ! A tout le moins Luraschi est désigné comme tel dans la notice du BFI et le livre The life and art of Preston Sturges) convoque tout le monde pour décider de modifications pour obtenir l’imprimatur du Hays Office. Quelques coupes hardies furent opérées lorsque par exemple le nombre de mariages de la princesse Centimillia a été réduit de huit à trois (plus deux annulations: cela change tout !) mais l’essentiel a en grande partie été préservé. Si des répliques comme « Vous n’avez pas idée de ce que peut faire un fille aux longues jambes sans rien faire du tout » ont été acceptées, on imagine que la session finale du comité de censure a fait preuve de tolérance.

C’est ce qui nous donne cette jolie comédie d’un talentueux réalisateur de son époque un peu injustement oublié. J’ai encore deux autres Sturges à voir dans le cadre de cette rétrospective, je les attends avec impatience.

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Eden (2014) de Mia Hansen Løve

Eden est le troisième film de Mia Hansen Løve. J’avais vu les deux premiers, Tout est pardonné et Un amour de jeunesse et avait constaté que cette réalisatrice incarne jusqu’à la caricature un certain nombre de pratiques à mon avis incestueuses du cinéma français : c’est une ancienne des cahiers qui est passé de l’autre côté du miroir, à la réalisation, et dont la sortie de deux premiers films a été accompagnée d’un concert de louanges, que dis-je, d’un tsunami de dithyrambes pour des oeuvres qui, sans être mauvaises, étaient à mon avis aimables, sans plus. Tout cela pour dire que j’allais voir Eden armé d’une batterie de préjugés ce qui est de mauvaise augure.

Autre élément à charge, Eden développe un thème qui m’est complètement étranger : l’âge d’or de la “French touch”, comprendre le développement dans la France des années 90 de la musique Garage, type de musique décrit dans le film comme “de la house avec des rythmes de la soul”. Ce genre de musique a connu la notoriété avec le groupe Daft Punk, au début des annés 2000 (et jusqu’à maintenant d’ailleurs). C’est peu dire que ce thème m’interpelle assez peu et que ma connaissance, tout comme mon intérêt pour la musique dite “Garage” sont assez limités.

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Le film, comme les autres de Mia Hansen Løve, raconte là encore un pan de la vie de la réalisatrice : l’histoire de son frère Sven – par ailleurs co-scénariste du film – et du succès qu’il a rencontré dans les années 90 avec son label (c’est comme ça qu’on appelle les “groupes” de musique Garage) Cheers. Le film montre le succès grandissant de Sven ou Paul, le nom de son personage dans le film, comment il a percé, sa célébrité grandissante, comment il devenu l’un des DJ les plus demandés de la place de Paris, les concerts à New York et tournées aux Etats-Unis etc … Dans un second temps, selon une dramaturgie assez classique, le film décrit l’inévitable déclin après avoir atteint le pinacle et les problèmes qui s’en suivent : manqué de succès, problèmes d’argent, de drogue, de cœur et finalement d’estime de soi.

La grande vertu de ce film en comparaison avec les précédents est qu’il ratisse beaucoup plus large : il ne s’agit pas de raconter une simple histoire mais de parler d’abord et avant tout d’une époque. Il y a d’abord ce coté fresque dans le film, l’aspect description d’un milieu, la traditionnelle histoire de la grandeur puis de la décadence et enfin, mais seulement là, l’histoire particulière, intimiste qui m’avait rebuté dans les précédents opus.

Hansen Løve filme en fait le temps qui passe, c’est Héraclite “on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve” ou l’impossibilité même quand on fait la même chose avec le même soin et le même talent d’avoir le même succès que quand on était au sommet de sa gloire. La deuxième moitié du film est à la fois cruelle et bien sentie sur ce point où Paul, le héros, s’aperçoit que la Garage, passé l’effet de mode, n’interesse plus personne, les gens qui préfèrent des genres de musiques du moment qu’il déteste comme la techno ou la salsa.

Autre élément qui éloigne le film du danger du film intimiste : il montre dans une large partie, l’évolution, non pas d’un personnage mais d’une bande de copain censée incarner l’époque. Les personnages nous sont rapidement assez familiers : le patron de radio Nova, plus âgé un un peu mentor de la bande, le copain dépressif dessinateur de BD, le compère de Paul dans son label plus réservé et qui s’en sortira finalement mieux, Louise la groupie des débuts qui saura s’extirper de ce groupe avant le début des difficultés. Toute cette petite troupe gravite autour de Paul mais donne également une épaisseur supplémentaire à l’histoire pour en faire une sorte de portrait de groupe assez réussi.

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Parmi ces personnages satellites, on trouve les deux membres du groupe Daft Punk, qui connaissent Paul car ils ont commencé comme lui, à la même époque (sauf que eux, ils vont réussir) avec une scène assez comique à la fin où ils se font refuser l’entrée d’une discothèque, entre autres car ils ne sont pas assez bien habillés, alors que ce sont les super stars de la Garage mais le videur ne les reconnaît pas car personne ne connaît leur visage. Le film comporte un certain nombres d’autres cameos : Greta Gerwich (la seule actrice du film que je connaissais) qui a quitté ses films new yorkais pour jouer l’amante américaine à Paris et Laura Smet, fille de Johnny Hallyday qui joue le rôle de Margot, la pétasse qui se sert allègrement sur le portefeuille de Paul pour payer ses bouteilles de Mumm en boîte de nuit mais se garde bien de le lui rendre en couchant avec lui (et se tire à Saint Tropez après l’avoir plumé et largué). Un role qu’elle joue très bien d’ailleurs allez savoir pourquoi ….

Et tout cela m’a fait découvrir quelque chose qui ne m’avait jamais vraiment frappé : Mia Hansen-Løve sait très bien filmer. Le nombreuses scènes de boite de nuit sont très belles, la caméra virevolte, le portrait de groupe est bien composé : comme j’ai réussi à accrocher au scénario, la mayonnaise a finalement bien pris. J’ai adhéré à ce film à ses loosers touchants et suis sorti de la salle pleins d’empathie pour ces adultes attardés qui s’accrochent aux illusions de leur jeunesse et plein aussi … d’une connaissance désormais approfondie de la musique Garage.

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Mariage à l’italienne (1964) de Vittorio De Sica

En 1963 est sorti le film – médiocre à mon goût – Divorce à l’italienne, de Pietro Germi, film qui a eu un beau succès d’audience. Et c’est donc tout naturellement que l’année qui a suivi, on – « on » est probablement le producteur exécutif Jo Levine – a eu l’idée de capitaliser sur ce succès et de faire tourner un autre film qui s’appelerait … Mariage à l’italienne. Bien sûr, pourquoi pas ! Quelle idée lumineuse ! Nous assistons à la préhistoire de ce que le cinéma moderne appelera la franchise cinématographique. Et encore, les argentiers des années 60 n’étaient que des amateurs à côté de ceux de maintenant. Il n’ont même pas pensé à poursuivre leur avantage avec Concubinage à l’italienne ou encore PACS à l’italienne pour bien épuiser la filon. Des amateurs je vous dis !

Ce titre mal choisi n’empêche pas le film de partir sur de bonnes bases avec la fine fleur des artistes transalpins au générique. Le scénario est tiré d’une pièce de grand dramaturge – et acteur – napolitain Eduardo De Filippo intitulée Filumena Marturano. L’homme est un habitué des scènes de théâtre : il a écrit ses premières pièces dans les années 20, a rencontré le succès à tel point qu’il a été même embauché par le cinéma pour certains scénarii et aussi en tant qu’acteur.

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La pièce, écrite en 1946, raconte l’histoire d’une jeune prostituée napolitaine, Filumena, qui rencontre pendant un bombardement sur Naples, un margoulin, homme riche mais peu scrupuleux, Domenico Soriano, qui a l’avantage de posséder un nom, alors que la petite Filumena, elle, ne possède qu’un prénom. La film, qui s’étale sur une bonne vingtaine d’années raconte comment ces deux là vont se croiser, se disputer puis se rabibocher, s’aimer puis se haïr sans jamais vraiment se séparer.

Le film est une comédie italienne et n’est certainement pas une pièce de théâtre filmée. C’est un écueil que le réalisateur, De Sica, évite complètement. Le fait que l’histoire s’étale dans la durée renforce probablement cette impression : pas d’unité de temps donc. De surcroît, c’est une histoire napolitaine -le film est tourné en napolitain, ce qui veut dire que je n’ai à peu près rien compris des dialogues que je croyais au départ en italien – donc qui se passe pour une asses large partie dehors, dans la rue, avec beaucoup de personnages qui virevoltent tout en parlant très fort. Ah ah : pas d’unité de lieu donc !

Il n’y a pas non plus d’unité d’action (ce post ressemble à un chapitre du Lagarde et Michard) car celle-ci est décousue : Je ne veux pas trop déflorer le scénario mais il y a un certain nombre de coups de théâtre qui emmènent le scénario, et le spectateur dans une tout autre direction permettant à un personnage en difficulté de reprendre la main. C’est plutôt sympa, il y a du suspense mais on fini par ne plus y croire vraiment et l’empathie que j’ai ressenti pour les personnages s’en est un peu ressentie si une entourloupe scénaristique peut le sortir de l’ornière d’un simple coup de baguette magique.

On aime bien les comédies italiennes, on connaît leur défauts et on les accepte. L’histoire est un peu naïve, les bons sentiments se ramassent à la pelle et il n’y a pas vraiment de méchant. Mais la contrepartie est que on est censé rire de bon coeur tout au long du film. Les meilleures comédies italiennes (plus récemment Cinema Paradiso, Il postino, également Affreux, sales et méchants, ou encore toute l’oeuvre de Mario Monicelli) sont vraiment drôles, ce n’est pas exactement le cas de Mariage à l’italienne. Le film n’est certes pas raté, mais je dirais qu’il n’est « que » amusant, pas assez en tout cas pour que je me lance dans de grandes envolées lyriques en criant au chef d’oeuvre.

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De Sica sait filmer, la manière dont, au début les événements sont narrés est habile (en flash back avec des narrateurs différents, Domenico puis Filumena), on peut aussi mentionner un casting de rêve : Marcello Mastroianni dans le rôle de Domenico qui montre qu’il est aussi à l’aise dans la comédie que dans les rôles plus sérieux qui ont fait sa gloire et surtout Sophia Loren. On ne présente plus la star mais c’est à elle que le film donne la possibilité de montrer l’étendue de son talent. L’éventail des rôles qu’elle a à jouer est plutôt large (beaucoup plus que pour Marcello), il n’y a rien de commun entre la petite prostituée tondue terrorisée par les bombardements et la mère courage luttant pour ses enfants 20 ans plus tard. La Loren se tire avec le même bonheur de ces rôles multiples, prouvant, mais en avait-elle besoin, qu’elle est une immense actrice.

C’est donc cela Mariage à l’italienne, un film qu’on a envie de bien aimer, avec des acteurs qu’on aime bien, ce ces comédies italiennes qu’on aime bien mais qu’on finit par n’aimer …. que bien. Sans plus !

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