Revoir Paris (2022) d’Alice Winocour

A peu près deux semaines après avoir vu Novembre, un film beau et éprouvant sur les attentats du 13 novembre, je suis tout naturellement allé voir Revoir Paris, d’Alice Winocour, qui est … un film beau (un peu moins cependant) et éprouvant sur les attentats du 13 novembre. Cela dit, le traitement de cette tragédie dans les deux films n’a absolument rien à voir, et c’est tant mieux. Voici pourquoi.

Mia est une jeune femme, traductrice de russe, qui vit en couple avec Vincent, un chirurgien. En ce soir du 13 novembre 2015, alors que Vincent est appelé en urgence à l’hôpital, elle s’arrête dans le café L’étoile d’or pour prendre un verre rapide et se protéger de la pluie. C’est alors que surgissent les terroristes qui font un carnage dans le café, laissant Mia blessée. Lorsqu’elle se réveille à l’hôpital, elle a perdu la mémoire immédiate des événements et va essayer de la retrouver pour mieux se reconstruire.

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Autant Novembre est un film d’action, autant Revoir Paris est un film psychologique. Il aborde évidemment un sujet fort mais aussi assez casse-gueule dont Winocour se tire bien. Bien, d’une part parce qu’elle parvient à maintenir une certaine tension nerveuse dans le public. Tension nerveuse, évidemment, avant que l’attentat n’arrive puisque tout le public, moi – qui déteste connaître le synopsis d’un film avant de le voir – compris, sait ce qui va se passer, mais tension nerveuse aussi après, car Winocour parvient avec talent à générer une certaine empathie envers le personnage de Mia et à nous faire vibrer, parfois frémir, pour sa quête de reconstruction psychologique. Peu d’entre nous – et certainement pas moi – ont vécu ce genre de tragédie mais je veux bien croire que ceux à qui c’est arrivé réagissent de la même façon, avec la même hébétude, la même volonté fragile de « s’en sortir » sans savoir vraiment comment, que Mia dans le film. Que Mia ou que les quelques autres victimes d’ailleurs, personnages secondaires que le film nous introduit, qui papillonnent autour de Mia et qui ont chacun un trauma différent qu’ils tentent d’exprimer dans le groupe de parole qui s’est constitué.

Ensuite, la réalisatrice pour insuffler un peu « d’action » dans son film, nous fait suivre la recherche qu’effectue Mia de ce qui s’est vraiment passé, vu qu’elle a perdu la mémoire. Il s’agit d’introduire une intrigue parallèle, ou plutôt orthogonale (c’est à dire qui n’a rien à voir) à l’intrigue principale, A côté de « Mia se reconstruit », nous avons également « Mia enquête ». En général, je n’aime pas beaucoup ce procédé, mais là, contre toute attente, cela marche assez bien. Cela ne fait pas plaqué comme c’est souvent le cas et on soutient sans peine la quête de Mia en souhaitant qu’elle réussisse.

Et puis enfin, le film montre une chose à mon avis essentielle qui renforce sa crédibilité : les victimes de ces horreurs se retrouvent pour le plupart prisonniers d’une prison mentale qui les empêche de communiquer, quasiment de vivre avec ceux qui n’ont pas vécu ce qu’elles ont vécu. Il est quasiment impossible d’être en société comme on était avant, Mia ne vit, n’échange, ne communique – verbalement ou non – qu’avec d’autres victimes, au premier rang desquelles le personnage de Thomas, et elle n’a rien à dire à son compagnon Vincent qui ne comprend pas, qui ne peut pas comprendre et leur couple ne peut que se déliter. C’est bien exprimé, c’est subtil et cela me semble (même si je ne suis pas psychiatre) assez juste. Je m’étais fait exactement la même réflexion au sujet d’un autre film très différent et absolument sublime : Pluie noire, de Shōhei Imamura.

Et pour en rajouter dans l’éloge, mentionnons tout simplement la distribution. Le rôle de Mia est confiée à une Virginie Efira éblouissante qui a su à chaque seconde du film trouver le ton juste pour ce personnage aussi singulier, cette femme moderne, courageuse, forte aussi, rattrapée par le destin qui va la confronter à des épreuves trop grandes pour elle. J’ai dit que le sujet était casse gueule pour Winocour et qu’elle s’en tire avec brio, mais elle le doit d’abord et avant tout à son actrice principale et à la manière si juste avec laquelle Efira parvient à crédibiliser ce personnage de Mia. Le plus important des rôles secondaires, celui de l’autre victime Thomas, est joué par un autre acteur français qui fait feu de tout bois en ce moment et qui étale son immense talent dans le film : Benoît Magimel.

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Alors ? Alors pour être complet, et aussi un peu mesquin, je me dois de mentionner les petites scories, les petites coquetteries scénaristiques qui à mon avis en rajoutent inutilement une couche : les flashbacks sur les différentes victimes des attentats tel par exemple le client australien, les « fantômes » des victimes mortes que Mia voit dans le métro ou ailleurs, certains événements (la visite au musée d’Orsay) accompagnée d’une musique angoissante style « attention il va se passer quelque chose », tout cela est un peu superflu, et le twist final avec l’adultère avoué est carrément agaçant car il tombe comme un cheveu sur la soupe, il discrédite le personnage – bienveillant – de Vincent et surtout il n’est pas du tout nécessaire : on avait compris que le couple ne traverserai pas l’épreuve. Mais malgré tout cela, force est de constater que cela ne suffit pas à faire dérailler le film.

Pour le premier film d’Alice Winocour (et le deuxième film sur le 13 novembre) que je vois, c’est plutôt un succès. Le film a été présenté à la quinzaine des réalisateurs à Cannes et a connu un petit succès critique mérité à sa sortie. Il a de surcroît été diffusé en Angleterre ce qui n’est pas donné à tous les films français, même bons, loin de là. Un bon crû donc, vu au ciné Lumière, juste avant la fermeture estivale au mois d’août et la période d’étiage bloguistique qui va immanquablement en découler.