La solitude du coureur de fond (1962) de Tony Richardson

En cette fin d’année 2023, je me serais pas mal familiarisé avec la quintessence du cinéma anglais, qu’en fin de compte je connaissais assez peu. Le BFI a consacré un long cycle au duo Powell et Pressburger, le Garden Cinema a projeté six des Ealing Comedies et le Ciné Lumière, qui ne tenait pas, j’imagine, à être en reste a projeté cet après-midi un très beau film, symptomatique de son époque, au titre étrange : La solitude du coureur de fond (1962) du réalisateur Tony Richardson.

Colin Smith est un jeune homme issu d’un milieu populaire de Nottingham, dont le père est mourant et qui va se faire pincer après un vol et se faire envoyer dans ce qu’en Angleterre on appelle un Borstal, c’est à dire une maison de correction pour jeunes délinquants. Là, il être confronté à la violence et aux règles viriles qui règnent dans ce genre d’institution, mais ses qualités d’endurance, de coureur à pied, vont le faire remarquer du directeur qui va en faire son poulain pour tenter de gagner un cross où l’institution affronte une public school très chic.

Qui connaît les Angry young men ? Il s’agit d’un group informel d’écrivains et de dramaturges britanniques des années cinquante, en général issus des classes moyennes ou populaires, qui ont rejeté les expériences littéraires avant-gardistes d’avant-guerre pour revenir à un réalisme social très prononcé et assez marqué à gauche. Plus qu’un groupe, il s’agirait plutôt d’un mouvement car aucun d’entre eux ne s’en est jamais réclamé. L’écrivain Martin Amis est considéré comme un de leur chef de file, des grands noms de la littérature anglaise comme le dramaturge Harold Pinter ou le poète Philip Larkin y ont été associés. C’est la cas aussi de l’écrivain Alan Sillitoe, un homme né à Nottingham et qui publie en 1959 une nouvelle, La solitude du coureur de fond, qu’il contribuera à adapter en film avec Richardson trois ans plus tard.

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Et l’histoire du film rentre vraiment dans les thèmes chers aux angry young men. Colin est un représentant classique de cette classe ouvrière anglaise pauvre à laquelle on a seriné que les choses – après-guerre – allaient s’améliorer mais qui d’une part, n’ont par remarqué d’augmentation considérable de leur budget, et d’autre part n’ont pas non plus vu le moindre changement dans leur situation non financière : les conditions de travail font que ces malheureux se tuent au travail bien plus rapidement que ceux qui les exploitent et ils sont toujours victimes du même mépris de classe séculaire qui lui n’a pas du tout évolué. Il en résulte, chez eux, une intense colère qui se matérialise certes chez Colin mais aussi surtout chez sa mère lorsque est confrontée à la police ou, encore mieux, à la personne qui lui verse la prime d’assurance due après la mort de son mari.

Le film commence quand Colin arrive au Borstal et après se développent deux histoires parallèles : sa vie en prison et comment il va se faire remarquer pour ses qualités de coureur, et le flashback sur sa vie d’avant, sur le milieu dont il est issu et comment il en est arrivé là. Cette partie est particulièrement touchante, on y voit la famille (nombreuse, quatre enfants) de Colin, son père mourant, sa mère courageuse qui tient le foyer à bout de bras, le nouvel amant de sa mère que Colin n’aime pas, le miracle de l’achat d’une télévision, ses escapades avec son pote et la très touchante scènes où ces deux là s’offrent une virée romantiques au bord de la mer avec leurs copines respectives. Sillitoe et Richardson brossent à petites touches et de façon réaliste un portait vivant de cette jeunesse là, une jeunesse qui n’est pas misérable, ni brimée (on n’est ni chez Dickens, ni chez Ken Loach), une jeunesse simplement pauvre.

La deuxième partie consiste en une prise de conscience progressive de Colin que ce qu’il prenait comme de la gloire personnelle tombant sur ses épaules du fait de son exploit sportif sert peut-être aussi d’autres intérêts comme celui de l’institution et de son paternaliste directeur – joué par le très anglais et excellent Michael Redgrave – qui acquerrait grâce à lui un certain prestige. Et Colin, snobé par ses camarades qui le voient à raison comme le chouchou du directeur, de se poser la question si il veut contribuer à cela. Le film a été parfois qualifié de « coming of age » film, c’est à dire de film d’initiation, cela me paraît un peu fort, en revanche, je reprends facilement à mon compte le slogan sur l’affiche du film : « you can play it by the rules… or you can play it by ear – what counts is that you play it right for you… », autrement dit une (rare) occasion pour Colin de s’affirmer, de faire preuve de libre-arbitre, de s’affranchir de certaines tutelles si il en fait le choix et bien sûr en faisant face aux conséquences. Une sorte de mini ode à la liberté pour ce jeune homme vivant dans une société de classe assez cloisonnée.

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Ce jeune homme, c’est l’acteur Tom Courtenay, jeune acteur de l’académie royale d’art dramatique dont c’est le second rôle au cinéma, une prestation qui lui vaudra un BAFTA (les Césars anglais) du meilleur jeune acteur. Il faut dire qu’il se glisse parfaitement dans la peau de ce jeune homme peu expansif, assez brimé à l’intérieur et qui use de la course à pied comme un exutoire à ses frustrations. Une beau rôle pour un acteur qui parvient sans effort à susciter l’empathie pour ce petit voyou au visage triste et à la destinée somme toute peu enviable.

L’ensemble est filmé dans un très beau noir et blanc qui colle bien à cette atmosphère de prison d’un côté, de cité ouvrière de l’autre et installe cette impression de vague à l’âme qui ressort du film. Certains plans sont très joliment filmés très près du visage des acteurs – mention spéciale pour les scènes en amoureux et l’escapade au bord de la mer – avec une musique adaptée à l’ambiance de la scène, jazzy pour les scènes de virée heureuse, cantiques sur des scènes de brutalité. Une histoire touchante servie par des choix techniques et esthétiques irréprochables. De la belle ouvrage.

Le film n’a pas obtenu de grand succès public à sa sortie mais la postérité lui a fait meilleur accueil et c’est maintenant considéré comme un classique du cinéma anglais de cette époque. C’est un film précurseur d’un certain cinéma social qui connaîtra une grande efflorescence outre-manche pendant et après la période thatchérienne et qui je dois bien l’admettre, m’a plus séduit par sa retenue, par son côté naturaliste – et non militant – que certains de ses avatars des années futures.