Easy rider (1969) de Dennis Hopper

En 1969, cela turbule à Hollywood. Les anciens studios sont agonisants et il n’est plus désormais nécessaire de passer sous leurs fourches caudines pour faire un film qui compte. Les goûts du public changent et les studios déboussolés lâchent un peu la bride aux réalisateurs. Le nouvel Hollywood est en marche et un film venu de nulle part va y ajouter une brique notable, un film culte qui servira de manifeste à la génération qui à vingt ans à cette époque. Ce film, c’est Easy rider et plus de cinquante ans après, voici ce que j’en pense.

Billy et Captain America sont deux motards, trafiquants de drogue à la petite semaine, qui veulent rejoindre le carnaval du mardi gras à la Nouvelle Orléans sur leurs Harley Davidson. Ce sont deux jeunes marginaux, aux cheveux longs qui vont faire de nombreuses rencontres, parfois amicales, parfois hostiles avant de finalement arriver à destination.

Dennis Hopper est un acteur qui a commencé sa carrière avec James Dean dans La fureur de vivre. Ami inséparable de l’idole, il a été très affecté par sa mort et à entamé une traversée du désert : tricard à Hollywood suite à son incontrôlabilité sur les plateaux, il se lance dans la photographie pendant quelques années avant de revenir, dans un Hollywood bien changé, par la petite porte en 1967. Deux ans plus tard, après avoir socialisé, réseauté dans le nouvel Hollywood à grand renfort de nouvelles drogues dont il est un adapte convaincu, il retrouve son ami Peter Fonda, avec qui il écrit une ébauche de scénario, étoffée par l’écrivain Terry Southern et parvient à réunir un mini budget pour commencer le tournage de son film, une sorte de road movie à moto.

Car Easy Rider est bien un road movie. Le film alterne les étapes de l’odyssée des deux motards avec des scènes de route où on voit les deux héros traverser cet ouest américain, avec des paysages magnifiques minutieusement filmés par le grand László Kovács et accompagnée par une bande son envoûtante de groupes d’époque : Steppenwolf, The Byrds et un peu de Bob Dylan. Ces scènes d’atmosphère représentent à mon avis la quintessence du film et ce qu’il en restera dans la mémoire collective. Ce ne sont pas que des scènes qui assurent le liant entre deux étapes, c’est par elle que transpire la liberté à laquelle aspirent Billy et Captain America.

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Easy rider est un film d’époque, une époque de contestation tous azimuts de la part d’une jeunesse en colère. On a du mal a se l’imaginer en France où « notre » mai 68 fut certes bruyant mais pas aussi violent que ce qu’on a pu voir aux Etats-Unis : assassinats politiques (Robert Kennedy, Martin Luther King, tous les deux l’année précédente), black panthers, guerre du Vietnam, contestation étudiante très violente (dont j’ai eu un aperçu en lisant Pastorale américaine de Philip Roth par exemple), le film est un peu une synthèse de tous ces éléments mais en les prenant à rebrousse poil : les jeunes qui font peur chez Roth, sont ici les victimes, les incompris et la violence, gratuite et aveugle, vient au contraire de gens établis, de la communauté villageoise par exemple. C’est l’Amérique vue, non par les yeux des puissants mais des jeunes, des déclassés, le trajet de nos motards est symptomatique : ce n’est pas la conquête de l’ouest, c’est l’inverse, c’est le retour de l’ouest vers l’est, l’est censé être civilisé à l’époque des pionniers et qui ne l’est pas vraiment un siècle plus tard, dans le film en tout cas. Un dialogue assez génial du film illustre cela, qui en est à mon avis la clef : George Hanson (Jack Nicholson) : « Ils ont peur de ce que tu représentes ». Billy (Dennis Hopper) : « tout ce que nous représentons pour eux, c’est quelqu’un qui a besoin d’aller se faire couper les cheveux ». Hanson : « Oh non ! Ce que tu représentes pour eux, c’est la liberté (…). Parler de liberté et être libre sont deux choses différentes. C’est difficile d’être libre quand on s’achète et qu’on se vend sur les marchés ».

Le film nous gratifie également de séquences où leurs héros ne sont pas en milieu hostile : lors du séjour dans la communauté hippie et aussi lorsqu’ils s’adonnent – très fréquemment – au joies de la fumette. On fume beaucoup dans le film et pas du tabac. En fait, on use de toutes les drogues, sur l’écran certes, mais aussi sur le plateau, et toute cette joyeuse perte de sens culmine dans l’étonnante et très psychédélique scène avec les prostituées dans le cimetière de la Nouvelle Orléans. Une très belle scène, composée d’images oniriques parfois blasphématoires montées serré dans un rythme presque stroboscopique, qui là encore donne corps au besoin d’évasion – avec des méthodes évidemment illicites et aussi nocives – de cette génération, que décidément le film explore sous tous ses aspects.

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Maintenant, la force du film, ce qui le fera passer à la postérité est aussi sa limite : le film est un manifeste mais ce n’est pas plus que cela. Il se compose d’une série de scènes (chez les hippies, en prison, au bar, à la Nouvelle Orléans …) sans lien entre elles que de faire vivre aux héros de nouvelles aventures, c’est presque un film à sketches et je me suis pris à regretter qu’il n’ait pas plus de choses à nous dire. Il n’y a pas de message social pointu (j’associais de film, peut-être à cause de la présence de Jack Nicholson avec un autre film de cette époque au contenu social plus prononcé : Five easy pieces) alors que le message est plus basique i.e. jeunes + nomades = gentils et vieux + sédentaires = méchants. Ce fut une erreur de ma part. Il s’agissait seulement de se laisser porter par les Harleys sans trop se poser de questions en admirant les somptueux paysages qui défile. Je ne fumais pas de joint en le voyant au cinéma mais peut-être que si cela aurait été le cas, cela m’aurait fait une impression encore plus intense.

Et quitte à se balader aux Etats-Unis, autant être en bonne compagnie. Ces Harleys sont conduites par un duo de choix. D’abord Dennis Hopper avec sa moustache à la Vanzetti et son air de chien battu jouant Billy, un Dennis Hopper en motard tout gentil aux antipodes de l’autre rôle marquant de sa carrière d’acteur heurtée, celui de Franck dans Blue Velvet. Ensuite le beau gosse un peu rêveur, celui qui séduit les jeunes filles mais ne les touche pas, c’est Peter Fonda qui joue Captain America, un Peter Fonda timide, hésitant mais aussi vraiment attachant qui forme une jolie paire avec son queutard de compère. Et ces deux là vont faire un bout de chemin avec un troisième larron, George Hanson, un avocat alcoolique et sympa, rencontré dans une prison et joué par un inconnu qui ne va pas le rester très longtemps : un certain Jack Nicholson. Avec le recul, on réalise que c’est une distribution de rêve, et le fait est que ça marche à fond : ces trois là sont formidablement attachants.

C’est cela Easy rider, un film tourné avec des bouts de ficelle, une équipe qui était très souvent défoncée pendant le tournage, avec un budget minuscule de 340,000 dollars (qui aurait osé mettre plus !). L’histoire aurait très bien pu s’arrêter là sauf que le film a rapporté 40 millions et est devenu culte, adopté qu’il a été pour toute la génération Woodstock qui s’est reconnu dedans. C’est fascinant, c’est tant mieux pour le film, même si mon opinion est un peu plus mitigée. Cela reste un classique qui a bien entendu sa place sur un blog comme celui-ci.