Deux hommes dans la ville (1973) de José Giovanni

Avertissement : je ne vais pas pouvoir ne pas divulgâcher la fin du film dans ce post. Donc, pour ceux qui ne l’auraient pas vu, je vous suggère … de passer au post suivant car le film mérite d’être vu sans savoir (trop) de quoi il s’agit et surtout de sans savoir comment il se termine.

De retour à Paris, le cinéma Mac Mahon, près de l’Etoile – qui est un peu ma cantine quand je rentre en France – diffuse en ce moment un cycle consacré à Jean Gabin, un cycle de 54 film dont j’aurais réussi à voir deux. Le premier cet après-midi, un film que j’avais vu étant adolescent et qui m’avait fait à l’époque une très forte impression : Deux hommes dans la ville (1973) de José Giovanni. De nombreuse années après, la magie opère-t-elle toujours ? C’est ce qu’on va voir dans ce post.

Germain Cazeneuve est éducateur, c’est à dire qu’il prend sous son aile des gens en prison et essaie des les préparer pour leur réinsertion dans la vie civile après leur libération et surtout prévenir la récidive. Il a pris sous son aile un certain Gino Strabiggi, braqueur multi-récidiviste condamné à dix ans de prison et que Cazeneuve fait libérer par anticipation en se portant quasiment garant pour lui. Gino sort donc et va être confronté à des tentations contradictoires, entre ses anciens complices qui veulent le « ré-embaucher », ses femmes, ainsi que Germain bien sûr, qui veulent à tout prix qu’il se range et un inspecteur obsessionnel, qui a présidé à son arrestation dix ans plus tôt, et intimement persuadé qu’il ne peut que replonger.

Le film est réalisé par José Giovanni, un nom connu – et glorieux – dans le domaine du polar, dont j’avais déjà parlé dans mon post sur Classe tout risques. Giovanni est un ancien malfrat, devenu d’abord écrivain, pour raconter, ses hauts-faits, puis scénariste, puis réalisateur. Toutes ses histoires s’inspirent de faits d’autant plus réels qu’il les a lui-même vécus, celle-ci incluse, l’homme ayant été condamné à mort juste après la guerre, gracié puis libéré en 1956 peu avant qu’il ne commence à publier.

Nous ne sommes pas ici dans un film de gangsters, de mafia ou de pègre, c’est par bien des aspects le contraire puisque le principal gangster essaie désespérément de se ranger des bagnoles et que le personnage principal n’est même pas flic et exerce la profession, honorable mais pas très glamour dans un polar, d’éducateur. En fait le film vole plus haut que cela et se range quelque part, en cette année 73, dans la catégorie des films à message : le film se veut à sa manière une charge assez violente contre la peine de mort et cela à une époque où la cause de l’abolition gagnait en notoriété, en particulier grâce à l’action de Robert Badinter qui a inspirée Giovanni. C’est un film pamphlet, pamphlet sincère, touchant à certains moments, maladroit à d’autres, mais dont l’énergie finit, en ce qui me concerne par emporter l’adhésion.

C’est un film que je divise personnellement en deux parties de longueur inégale : La première jusqu’à ce que l’irréversible soit commis et le seconde après. Cette première partie est à mon avis la plus critiquable. Elle est, je trouve, assez démonstrative, et enchaîne les épisodes de la vie de Gino sans grand effort de fluidité. On a la révolte dans la prison, l’accident de voiture, le contact avec ses ex-complices, autant d’épisodes qui se succèdent à l’écran et qui m’ont semblé un peu plaqués – l’épisode de la révolte de la prison et du suicide du détenu n’étant qu’un plaidoyer en faveur de l’éducateur et aurait mérité d’être coupé, celle de l’interrogatoire à l’hôpital aussi -. L’intention est bonne certes, mais les personnages étaient déjà campés dans l’esprit du spectateur, cette séquence, qui dure les deux tiers du film, aurait gagné à être certainement raccourcie et à couler un peu plus de source.

Tout change en revanche après le deus-ex machina aux deux tiers du film. Le rythme soudain change, se fait plus lent, lent comme la procédure judiciaire sans doute, lent car nous ne sommes plus dans la longue scène d’exposition qui vise à nous présenter en détail les personnages, mais dans le cœur du film, dans le moment qui porte le message – contre la peine de mort – que veut nous faire passer Giovanni. A ce moment là le tempo est juste, et la tension va crescendo pour culminer dans une magistrale scène finale qui met tout le monde d’accord, le ton du film devient solennel et très franchement, il faut vraiment avoir un cœur de pierre pour ne pas être révulsé par l’inhumanité de la peine capitale telle qu’elle était appliquée en ces temps là. Carton plein pour Giovanni qui parvient non seulement à faire passer son message, à mettre la quasi-totalité des spectateurs de son côté et à complètement racheter, par la force de ces dix dernières minutes, une exposition un peu bancale.

Il est de surcroît servi par un casting trois étoiles d’acteurs star qui ont été séduit par le projet. Le rôle de Gino est confié à un Alain Delon tellement séduit qu’il va même produire le film. C’est un rôle inhabituel pour Delon, un rôle de braqueur certes, mais de braqueur rangé et qui fait ce que lui disent son éducateur ou ses femmes et qui fait profil bas devant les malfrats, fussent-ils ses ex-complices. Delon est très bien en particulier dans la cruciale scène finale où il joue le pauvre gars perdu qui ne sait pas ce qui lui arrive et surtout pourquoi cela lui arrive.

Jean Gabin n’était pas le premier choix de Giovanni pour jouer le rôle de Cazeneuve (il avait préféré Lino Ventura) mais c’est finalement lui qui a emporté le morceau. Le personnage a été un peu vieilli pour s’adapter à l’acteur et Gabin se glisse sans trop d’efforts dans ce rôle taillé sur mesure pour lui. Vieil homme désabusé, grande gueule (les dialogues lui donnent les réparties foudroyantes qu’il affectionne – et qui le mettent en valeur -), c’est son antépénultième film et c’est aussi le dernier grand rôle de sa carrière, une carrière qui avait un peu battu de l’aile dans les années 70 et qui retrouve des couleurs à cette occasion.

Le rôle de l’inspecteur Goitreau, flic borné, obsessionnel et cruel est lui convié à un Michel Bouquet sadique à souhait, un rôle qui ressemble en tout point à celui de l’inspecteur Javert des Misérables qu’il incarnera plus tard. Le face à face avec Strabiggi est similaire au face à face Javert / Valjean avec d’un côté le délinquant qui s’est rangé et de l’autre le flic monomaniaque qui ne croit pas à sa rédemption.

Le film, de par son sujet et les stars qui brillent au générique va rencontrer un grand succès public, le dernier pour Gabin avant qu’il ne quitte la scène quatre ans plus tard. C’est un film touchant (moins, en ce qui me concerne, que la première fois où je l’ai vu) qui rappelle les grandes luttes sociétales qui furent celles de ces années 70, années où la guillotine chez nous aussi fonctionne encore. Un document dont le charme réside dans la nostalgie qu’il suscite et le plaisir de revoir ces grands acteurs à l’écran. J’ai certainement perdu ma spontanéité adolescente mais qu’on le veuille ou non, l’émotion est encore passée lorsque je l’ai revu.

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