Classe tout risques (1960) de Claude Sautet

2024 marque le centenaire de la naissance d’un très grand réalisateur, Claude Sautet. Le cinéma MacMahon à Paris a rendu hommage à l’artiste avec un cycle projetant l’intégralité de son œuvre. Et j’ai profité d’un passage à Paris pour voir le tout début de ce cycle, les deux premiers films du maître à commencer par le film de cet après-midi : Classe tout risques, sorti en 1960.

Abel Davos est un gangster en cavale, recherché par la police italienne, et qui après pas mal de vadrouille, souhaite revenir en France. La cavale se termine en bain de sang, lors d’une fusillade avec des douaniers où Raymond Naldi, le fidèle compagnon de cavale d’Abel, ainsi que Thérèse, la femme d’Abel, sont tués. Abel est alors seul, recherché par toutes les polices de France, en cavale autour de Nice avec ses deux enfants. Il va alors faire appel est ses anciens complices pour le tirer de ce guêpier et l’aider à remonter sur Paris. Mais ces derniers sont rangés et n’ont pas envie de se mouiller à nouveau, même pour un homme auquel ils doivent tout. Ils se décident à faire le minimum syndical : envoyer une voiture pour aller le chercher, mais pas conduite par eux, plutôt par un petit voyou, un certain Eric Stark, qu’ils ont recruté pour l’occasion.

1960, alors que tout le milieu du cinéma bruisse d’une bande de jeunes cinéastes novateurs qui veulent casser tout le système (il s’agit de ceux de la nouvelle vague), voilà qu’un nouveau réalisateur perce en même temps qu’eux et tourne ce qu’il considèrera comme premier film. Je dis « considèrera » parce qu’il a techniquement réalisé un autre film (Bonjour sourire) en 1956, où il a été embauché au pied levé sur un projet qui n’était pas le sien, un film qu’il reniera.

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Ce n’est pas vraiment un film nouvelle vague mais un film d’un genre assez classique – et populaire – : le film de gangster. Le scénario est tiré d’un nouveau venu sur la scène du roman noir (les cadors de l’époque s’appellent Albert Simonin ou Auguste Le Breton), un certain José Giovanni qui ira très loin dans le domaine du scénario et même de la réalisation. C’est un homme qui commençait déjà à percer puisque son premier roman, Le trou, venait juste d’être adapté à l’écran par Jacques Becker.

C’est un film de gangster qui détonne un peu par rapport à la production d’époque. Le sujet central n’en est pas un casse magnifique orchestré par des gangsters flamboyants, mais bien une cavale, avec sa traque concomitante, mené par un gangster en fin de course, fatigué. C’est cette fuite en avant endeuillée par de nombreux cadavres, y compris ceux d’êtres chers, qui est le sujet du film et qui amorce le questionnement de Davos : cette vie vaut-elle d’être vécue ? A l’évidence non, Davos le réalise, mais bien trop tard, lorsqu’il ne peut plus revenir en arrière. Davos dans le film se contente de parer au plus pressé (assurer l’avenir de ses enfants et esquisser une demi-vengeance contre ceux qui l’ont trahi) jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus. Il affirme à Stark au milieu du film « On se croit toujours le plus malin mais quand tu ne peux pas défendre tes couleurs, tu n’es plus rien ». A noter que cette vie tranquille, rangée avec ses enfants dont il rêve est précisément celle qu’il interdit à ses anciens complices Riton et Fargier qui se sont rangés mais qui selon lui, au nom des services rendus, lui doivent assistance quitte à se mouiller pour cela : Davos est un homme pétri de contradictions.

Un autre thème intéressant, joliment développé par le film et plus classique du film de gangster, est la jolie amitié qui s’installe entre Davos et Stark, amitié filiale certes entre le jeune voyou qui quelque part admire le vieux braqueur mais amitié solide qui va d’ailleurs permettre à Davos de « durer » un peu plus. Mais là encore l’histoire va bifurquer ou plutôt rattraper le thème esquissé ci-dessus « tout cela en vaut-il la peine » : Stark n’est pas et ne sera pas le successeur de Davos. Au contraire, ce dernier, évoquant son propre exemple et avec l’aide du joli personnage de Liliane, va essayer de dissuader le jeune voyou de « faire carrière », de tomber dans le même piège que lui. C’est une sorte de polar moral, où la pègre ne nous est pas montrée d’une manière glamour et qui insiste sur la lourde solitude d’un gangster comme Davos. Un thème, celui de la solitude, que le grand Jean-Pierre Melville fera sien à la même époque.

Sautet, nouveau réalisateur, un homme qui a déjà une certaine bouteille dans le monde du cinéma (il a été assistant-réalisateur à de nombreuses reprises), fait preuve d’un beau a un beau savoir-faire dans le film. Le film est nerveux, la cavale et l’angoisse qu’elle génère sont montrés avec maestria, le personnage de Liliane est parfaitement bien montré et il y a aussi un tout petit peu de mystère lors de la séquence avec le détective privé, bref, on ne s’ennuie jamais.

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Mais le principal mérite du film revient surtout à son casting de rêve. Ce n’est rien moins que le magistral Lino Ventura qui joue le rôle de Davos. Lino commençait a être célèbre et à être abonné aux premiers rôles à l’époque mais il a, à mon avis, franchi ici un échelon supplémentaire en jouant, certes un personnage de voyou comme à l’accoutumé mais pas un voyou grandiose, un voyou usé, désabusé, portant une émotion que ne portent pas les caïds des polars traditionnels. Son personnage est un braqueur, assassin de sang froid et on se prend à avoir une inévitable empathie pour lui. Quant à Stark, c’est un jeune acteur que Sautet avait vu peu avant sur le plateau d’un autre tournage et qui lui avait tapé dans L’œil. Le tournage ? Celui d’A bout de souffle. L’acteur ? Jean-Paul Belmondo lui-même, rien de moins. Il y joue un personnage assez similaire à celui de Michel Poiccard qu’il jouait dans A bout de souffle, le jeune voyou charmeur, décontracté, indolent et surtout irrésistible, c’est un rôle parfaitement adapté à l’acteur, au moins à ce moment là de sa carrière. Et inutile de dire qu’avec ces deux là, la nostalgie de ces glorieuses années soixante fonctionne à plein. Le rôle, moins important en volume, de Liliane est confié à une très belle actrice italienne morte il y a tout juste un mois : Sandra Milo. Elle joue remarquablement un personnage complexe qui au départ, prend fait et cause pour les voyous, mais peu après, insensiblement, va essayer de tirer son bien-aimé (Stark) hors du marigot de la pègre, et le tout, sans pratiquement dire un mot rien qu’avec ses yeux de chatte et son sourire timide. Du grand art.

Classe tout risques est donc un beau film de gangsters, bien dans son époque mais avec une certaine singularité qui le rend particulièrement attachant. Malheureusement pour lui, le public ne pensait pas de même, il a fait un four au box office, la sortie simultanée d’A bout de souffle, avec le même acteur, lui ayant indiscutablement fait du tort. Certains des producteurs s’en trouvèrent ruinés et le pauvre Sautet considérablement échaudé. Il ne retournera à la réalisation que cinq ans plus tard, pour tourner L’arme à gauche. Cela tombe bien, c’est le film que je vais voir demain.

5 réflexions sur “Classe tout risques (1960) de Claude Sautet

  1. Tu parles très bien des hautes qualités de ce Sautet première manière, une forme encore très empreinte du film de pègre à la française. Comme tu le détailles très bien, nous sommes là à quelques coins de rues du grand Melville, la présence, dans l’ombre, de Giovanni (auteur également du Deuxième Souffle) n’y étant sans doute pas pour rien. Lino saura s’en souvenir. J’avais aimé ce côté road movie, et ce formidable duo d’acteurs (avec un Bébel entre Poiccard c’est vrai, et le Doulos).
    Puis « l’arme à gauche » finira par dégoûter Sautet de la mise en scène pour un bon moment.

    • Oui, Melville, tapi dans l’ombre … C’est bien la cas ici (je ne savais pas que Giovannit était déjà à la manoeuvre pour Le deuxième souffle.

      Sinon j’ai vu le lendemain L’arme à gauche (que je n’avais jamais vu, mon post suivra dans quelques semaines) et j’ai beaucoup aimé, je ne comprends absolument pas l’accueil tiède qu’il a reçu

      • Je crois que Sautet comme Ventura n’en gardent pas un très bon souvenir. Tournage calamiteux si mes souvenirs sont bons, pas une très bonne expérience pour les deux. Je crois qu’ils ne tourneront plus ensemble ensuite (pourtant Sautet aimait les troupes d’acteurs). Mais c’est un film que j’aime bien aussi.

      • L’arme à gauche dernière collaboration entre le grand Sautet et le grand Lino ? J’ai envie de dire dommage mais quand on voit la carrière qu’ils ont fait ensuite, on se dit que cela n’a pas trop d’importance après tout.

        Le « jeune » Sautet de 1965 devra encore tourner avec Romy, Piccoli, Montand, Dewaere, Auteuil, Dussolier, Bonnaire, Serrault … N’en jetez plus, on peut difficilement faire mieux non ?

      • Je suis d’accord. Et puis changement complet de style de film. Sauf peut-être avec « Max et les ferrailleurs ». Un film qui est d’ailleurs sur ma liste à revoir.

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