Fellini Roma (1972) de Federico Fellini

Le cycle Fellini touche à sa fin, en tout cas en ce qui me concerne. Ce soir, je viens de voir l’avant-dernier film du cycle, un film du milieu de carrière, Fellini Roma, film sorti en 1972.

Un jeune homme arrive à Rome pendant la guerre, à la toute fin des années 30 pour s’installer dans un petit hôtel bruyant avec pizzeria dans la rue et beaucoup de monde y festoyant. Ce jeune homme, c’est le jeune Fellini qui arrive en ville dans ces années là. Dans la scène suivante, on voit Fellini adulte cette fois, le Fellini de 1972, donnant des instructions à son équipe de tournage pour filmer un plan aérien de la ville de Rome et répondre en même temps à des questions que lui pose un groupe de hippies.

Avec Roma, Fellini revient au cinéma … enfin si on peut dire. Son précédent film, Les clowns, était un quasi-documentaire, Roma pas vraiment. Roma est plutôt un film à sketches où la ville de Rome au sens large ferait office de ténu fil conducteur entre les séquences. Et j’insiste sur le ténu, car si cela n’avait pas figuré dans le titre, je ne me serai probablement pas aperçu que c’est de Rome qu’il s’agit dans chacun des sketches. En y réfléchissant bien, cette pratique (de lier des scènes n’ayant pas de rapports entre elles avec un fil rouge qui n’est qu’un prétexte) date du film qui a précédé Les clowns, le Satyricon qui obéissait au même principe, et cela n’avait, selon moi, pas été un franc succès.

Ce n’est pas le cas de Roma qui est à mon avis une réussite et cela pour une raison assez simple: la quasi totalité des petites saynètes qu’aligne le film sont absolument savoureuses. Cela paraît évident mais cela va mieux en le disant: si tous les sketches d’un film à sketches sont drôles, énergiques et soigneusement réalisés … eh bien le film à sketches finit par emporter les suffrages. Et c’est le cas ici. Fellini pioche dans ses souvenirs, ses obsessions, dans son imagination féconde secondée par son immense talent de cinéaste pour nous livrer un film sans scénario (ce qui en général éveille ma méfiance) tout à fait délectable. Voyons en les principaux thèmes.

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Evidemment, on nous montre- un peu – la ville de Rome. Le film ne parle pas QUE de Rome mais il en parle quand même. On nous montre diverses facettes de la ville: son côté ancien (les monuments lors du rodéo à moto de la fin), son côté village (la scène, magistralement filmée, du dîner à la pizzeria dans la rue au début du film), son côté moderne (les travaux du métro qui, en 1972, battaient leur plein pour équiper la ville de moyens de transport dignes d’elle) mais aussi le mauvais côté (les embouteillages sans fin près du Colisée, probable que si le film avait été tourné en 2020, on nous aurait montré les touristes chinois sur la fontaine de Trevi avec leur perche à selfie).

Mais on nous montre aussi des souvenirs de jeune adulte du réalisateur, dans Rome justement, pendant la guerre. Son personnage, incarné par l’acteur Peter Gonzales arrive à Rome, y dîne, se rend ensuite à un théâtre de variétés pour y assister à une série de numéros – une scène très vivante, spectaculaire et merveilleusement filmée -, tout ce petit monde interrompt le spectacle pour se réfugier dans un abri anti-aérien lors d’un bombardement, et, dans une scène ultérieure, on voit le jeune Fellini aller tout simplement au bordel et y être séduit par une prostituée qu’il essaie, sans succès, de revoir dans le « civil » après avoir profité de ses services. Ces scènes dans un passé récent sont reconstitués dans les magnifiques décors de Danilo Donati soigneusement dressés dans les studios de Cinecitta, ce sont de très belles scènes, vivantes, foisonnantes mais avec juste ce qu’il faut d’exagération pour être à la frontière du rêve ou de l’imagination. Ces moments caractérisent le style de l’artiste à cette époque qu’on retrouvera dans Amarcord, son prochain film, et sont particulièrement émouvants.

On trouve également les thèmes récurrents des films du réalisateur. Quelques paires de seins par-ci par-là – c’était d’usage à l’époque – lors des sit-in hippies et de la scène du bordel mais surtout un charge légère mais une charge quand-même contre les curés. Cela commence doucement par un groupe d’écoliers des années 30 menés par un bon père devant un ruisseau dont on leur explique que c’est le Rubicon et auxquels on intime l’ordre l’ordre d’enlever leurs souliers pour le traverser à gué en disant « Alea jacta est » et donc aller vers Rome. La « A nous deux Rome », version fellinienne du A nous deux Paris de Balzac sûrement ? Nous avons aussi la plus vacharde et plus fastueuse scène d’un « défilé de mode ecclésiastique » où une vieille princesse organise pour un vieux cardinal gâteux un défilé, dans le plus pur style de la fashion week, de robes de bure, cornettes de bonnes sœurs, aubes, tous les éléments qui peuvent seconder le curé moderne dans son sacerdoce (dont des patins à roulettes), le tout conclu par une apparition du pape sur une espèce de char de lumière dont le luxe n’a rien à envier aux satrapes de l’ancien temps. Une autre scène ébouriffante et surtout … très drôle qui se moque gentiment et avec talent de l’église comme c’est le cas dans d’autres films du maître.

L’une des scènes les plus impressionnantes du film est la scène « du métro », lorsqu’on suit une équipe de journalistes qui enquête sur le creusement du métro de Rome. Ils descendent sous terre, admirent les tunneliers, discutent avec les ouvriers – tout cela est très bruyant et industriel – avant d’effectuer un saut quantique vers le beauté lorsque la machine perce le mur d’une ancienne maison romaine enterrée et couverte de fresques parfaitement conservées, l’équivalent de Pompéi. Tout le monde s’extasie de la sublime beauté de ce témoignage de l’ancien temps avant que, en l’espace d’une minute, les fresques, exposées à l’air ambiant depuis le percement du mur, ne disparaissent corps et bien, en tombant en poussière. La scène est spectaculaire et exprime bien entendu la richesse patrimoniale incroyable de la ville et sa fragilité aussi. Elle ne vient pas de nulle part mais a été inspirée à Fellini par un de ses rêves d’enfant où il était prisonnier d’une oubliette dans le sous-sol de Rome et entendait des voix venant des murs lui disant « nous sommes les anciens romains, nous sommes encore là ». Et le rêve d’être recyclé avec talent pour en faire, non pas un long métrage mais un extrait remarqué de son film Roma.

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Ultime élément sur les nombreuses déclinaison de Roma, élément furtif mais touchant: les cameos de personnalités qui apparaissent dans le film simplement pour dire bonjour. En vedette américaine – c’est le cas de le dire -, nous avons une courte interview de l’écrivain Gore Vidal qui nous explique pourquoi il aime Rome, nous avons des scènes tournées avec Marcello Mastroianni et Alberto Sordi qui ont finalement été coupées au montage, et enfin, nous avons, tout à la fin du film, l’irruption surréelle d’Anna Magnani.

Fellini la raconte mieux que moi (dans la notice du BFI) de la façon suivante: lorsque j’ai tourné Roma, j’ai demandé à Anna Magnani si elle voulait faire une apparition . Je savais qu’elle était très malade, mais je savais aussi qu’elle adorait travailler. « Qui va jouer en face de moi? » a-t-elle demandé. « Ton rôle ne durera pas plus d’une minute » ai-je expliqué. « Qui va jouer en face de moi? » a-t-elle répété, « je n’accepterai jamais un rôle sans savoir cela ». « C’est moi » ai-je répondu, sans réfléchir. J’ai considéré que son silence valait approbation, elle n’aurait jamais gardé le silence si elle n’avait pas été d’accord. A la fin du film, je la rencontre, de nuit, sur le pas de sa porte (…) « puis-je te poser une question » lui dis-je finissant ma réplique et elle dit « Ciao Federico, va te coucher, il est tard » et elle rentre chez elle. Ce « ciao » qu’elle me dit est la dernière réplique qu’elle ait dite à l’écran. Elle est morte peu après.

Ciao donc Anna Magnani, sur cette scène clin d’œil émouvante, d’une grande actrice qui n’a jamais joué que des gens simples, du genre justement de ceux qu’on voit dans Roma.

Voilà donc pour Roma, un beau film un peu patchwork, un film inventaire sur la ville de Rome mais qui déborde un peu son sujet pour nous évoquer pêle-mêle et avec tendresse les souvenirs, les rêves et les obsessions du réalisateur. En fait pour répondre à une question que j’avais esquissée au début de ce post : si on m’avait montré le film sans me dire le titre, quel titre aurais-je, à l’issue du visionnage, donné à l’œuvre, un titre qui sert de fil conducteur aux scènes qu’on voit. Je n’aurais certainement pas pensé à « Roma » mais j’aurais plus certainement trouvé quelque chose comme « Nostalgie ». Nostalgie de l’enfance, des petites trattorias, bordels et théâtres de notre enfance, nostalgie de la beauté sublime de ces vestiges romains de la ville éternelle, nostalgie d’une icône comme Anna Magnani enfin. Fellini Roma où l’éloge de la beauté, la preuve par l’image que les nostalgiques, au rang desquels je me range, ne sont pas toujours des vieux cons mais aussi, parfois, des doux rêveurs.

3 réflexions sur “Fellini Roma (1972) de Federico Fellini

  1. Nostalgie, oui, nostalgie de ce cinéma là et il n’y a pas lieu d’en avoir honte. Moi aussi j’aime Roma et je me souviens comme si c’était hier de la scène du métro notamment.

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