L’aventure d’une nuit (1940) de Mitchell Leisen

Aujourd’hui, 19 décembre 2023, c’est presque noël est c’est probablement la dernière fois de cette année que je vais au cinéma, au BFI pour être précis. Et pour fêter l’occasion, je me suis offert une petite friandise : un bon gros film de noël, une jolie petite comédie hollywoodienne des années 40 comme je les aime, un film de surcroît avec Barbara Stanwyck et Fred McMurray. Double indemnity (qui n’est d’ailleurs pas une comédie de noël) ? Non, L’aventure d’une nuit, en anglais Remember the night, un film de 1940 signé Mitchell Leisen.

Lee Leander est une jeune femme qui tente de voler un bracelet de pierres précieuses et qui se fait pincer et donc juger peu avant noël par un tribunal de New York. Elle est défendue par un avocat grandiloquent mais surtout, l’accusation est portée par un procureur adjoint ambitieux, John Sargent, qui use de méthodes pendables pour obtenir la condamnation qu’il souhaite : prétextant l’absence d’un témoin, il fait ajourner le procès jusqu’à après les fêtes, sachant très bien qu’un jury populaire sera beaucoup moins clément en tout début d’année qu’à la veille de noël. La jeune femme est renvoyée en prison, ne pouvant payer sa caution, mais Sargent, pris d’une certaine forme de remords, la paye et la fait libérer lui permettant, pense-t-il, de passer les fêtes dans sa famille.

Petit avertissement : ce post s’inspire très largement de la captivante notice du BFI qui m’a soufflé plein d’anecdotes. Elle est extraite d’un essai de Rick Burin publié lors de la sortie du film en blu-ray. Un grand merci à lui.

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Ce film est une délicieuse friandise née d’une dispute entre un génial scénariste, et un réalisateur que je ne connaissais pas, qui ne s’en laisse pas compter et qui sait ce qu’il veut et où il veut mener son film. Le scénariste, c’est le grand Preston Sturges, qui nous a concocté cette idée du procureur qui va tomber amoureux de la femme qu’il est chargé d’envoyer en prison. Le tout est formidablement orchestré : on commence par la « campagne » (pour ces deux new-yorkais) dans ce qu’elle a de pire, les paysans irascibles et la justice expéditive portée par des shérifs locaux, loin des prétoires de New York. Après cet amuse-bouche (le mot « amuse » est ici bien choisi), place au cœur de l’histoire : Sargent emmène Lee chez sa mère qui la rejette violemment et la jeune accusée va finalement passer les fêtes dans la famille du procureur, un cocon familial aimant et protecteur, tout ce qu’elle n’a jamais connu. Et le film de nous montrer cela avec une immense tendresse et beaucoup d’émotion : la scène des chansons de noël – dont celle interprétée au piano par Lee -, la soirée du nouvel an, tout cela est touchant, bouleversant même. On a beau savoir où le film va en venir, l’émotion affleure de partout dans cette partie centrale où se joue le nœud de l’idylle.

C’est tout ? Pas vraiment. Un scénariste paresseux aurait très bien pu terminer son film ici. Pas Sturges, il reste encore un fil à délier : celui du procès et Sturges ne va certainement pas se dérober. Après une supplique de la mère de Sargent pour que Lee renonce à son fils pour préserver sa réputation – exactement de que demandait Germont à Violetta dans La Traviata – il va se passer encore quelques péripéties bien senties, géniales en fait, avant l’épilogue. De l’or en barre que ce script, je vous dis.

Tout cela aurait pu très bien se passer mais ce ne fut pas le cas. Sturges avait déjà travaillé avec le réalisateur Leisen sur Easy living (1937) et cela ne s’était pas très bien passé. Leisen est un ancien costumier et décorateur de Cecil B De Mille, Sturges avait prétendu que Leisen n’y connaissait rien à la comédie, qu’il n’avait aucun sens du rythme et qu’il était « more interested in the sets than the material » (plus intéressé par le décor que par le matériel – scénaristique, ce qui est amusant car « material » veut aussi dire « tissu » en anglais -). Il n’empêche, les deux vont rempiler trois ans plus tard avec Remember the night.

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Et Leisen – qui, si j’en crois ce film, a un excellent sens de la comédie et surtout de l’émotion – de s’appropier le script de Sturges, d’y ajouter son grain de sel ce qui a énormément déplu au scénariste et de finalement tourner son film. C’est un film délicat, bien équilibré, on nous montre la campagne soit comme un repaire de trigger happy ou de puritains du style la mère de Lee, soit de familles simples, soudées et aimantes comme celle de Sargent. La dureté de scène chez la mère de Lee aurait été voulue par Leisen contre l’avis de Sturges : c’est une scène absolument nécessaire qui situe le personnage de Lee et amorce sa rédemption qui, sans elle, aurait été moins crédible. Résultat, un script qui, d’après Stanwyck est « l’un des meilleurs qu’elle ait jamais lus » et qui a même fait admettre à un Sturges contrit que « le film a beaucoup de schmaltz (sentiment), une bonne dose de schmertz (douleur) et juste ce qu’il faut de schmutz (saleté) pour en faire un hit ».

Il me faut aussi ajouter que Fred McMuray est vraiment très bien dans le rôle d’un Sargent dominateur, paternaliste … au début et qui l’est beaucoup moins à la fin et que dans la rôle de Lee, nous avons … comment dire … celle que j’ai très envie (même si il faut se méfier des superlatifs) de qualifier de plus grande actrice du monde : Barbara Stanwyck. Que dire de Barbara Stanwyck ? qu’elle peut tout jouer, qu’elle crève l’écran dans chacune de ses apparitions, qu’elle joue le voleuse désabusée au tribunal, la jeune femme en position d’infériorité qui ne s’en laisse pas compter (avec de belles réparties) chez Sargent, la séductrice « on the top » qui invite un procureur à danser au cabaret, celle qui tire le couple d’un mauvais pas chez les cul-terreux un peu plus tard, la petite fille terrifiée par une mère tyrannique, la merveilleuse pianiste qui joue un touchant chant de noël chez Sargent, la sublime femme dans son corset blanc pour la soirée du jour de l’an, la tragique Violetta / Traviata qui promet à la mère de préserver la réputation d’Alfredo, l’amoureuse transie qui nie, contre nous évidence, sa flamme devant les chutes du Niagara et – retour à la case départ – pour finir, l’accusée au procès qui va essayer de s’en tirer comme elle peut sans se renier. C’est tout cela Barbara Stanwyck, c’est cette actrice miraculeuse qui brille de mille feux dans ce film, dans chacune des facette du rôle qu’on lui demande de jouer, avec une facilité déconcertante. C’est bien simple, le film a été tourné en 34 jours, soit huit de moins que prévu (la Paramount a dû être aux anges), exploit dû au sidérant professionnalisme de Stanwyck qui a plié toutes ses scènes en un minimum de prises.

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Le film a été, comme prévu, un grand succès public, mais l’histoire ne s’arrête pas là. Sturges a été tellement ulcéré des modifications apportées à Leisen à son script qu’il aurait vendu son prochain scénario à la Paramount pour 10 dollars à condition que ce soit lui qui le tourne. Marché conclu, ce sera The Great McGinty (1940) qui marquera les débuts de Sturges à la réalisation. Très bien, mais … (c’est l’avis de Rick Burin dans la notice du BFI mais c’est aussi le mien), c’est oublier un peu vite que Remember the night est aussi bien, sinon meilleur que les meilleurs films de Sturges réalisateur. Le mélange de la verve comique et la sentimentalité espiègle de Sturges avec le romantisme appuyé et le sens du décor de Leisen ont produit le miracle qu’est ce film. Et pour finir – ultime anecdote -, malgré sa détermination farouche à s’affirmer en tant que réalisateur, Sturges avait gardé, dans sa collection personnelle, des copies 16mm de seulement deux des films qu’il a tourné pour la Paramount : Easy living et … Remember the night. Leisen ne pouvait rêver plus bel hommage.

8 réflexions sur “L’aventure d’une nuit (1940) de Mitchell Leisen

  1. « Une fois, je l’ai envoyé en prison, une fois je lui ai tiré dessus, une fois je l’ai quittée pour une autre femme et une fois je l’ai envoyé au-dessus d’une cascade. » – Fred MacMurray résumant ses quatre films avec Barbara Stanwyck lors de sa cérémonie de remise des AFI Lifetime Achievement Award en 1987

    😉

    • Incroyable …. merci de l’info, je ne savais pas du tout. Quel hommage magnifique !

      Il a fait quatre films avec Stanwyck ?? C’est l’acteur le plus chanceux d’Hollywood ! Il va falloir que je me mette en quête des deux qui me manquent.

  2. Chapeau bas pour cette chronique richement informée sur ce film que je ne connaissais pas. J’avoue n’avoir jamais beaucoup fréquenté la filmo de Leisen (voire pas du tout je pense) et cette chronique est une invite à réparer cette oubli. Et quel casting en effet ! tout ce qu’il faut pour me séduire.

    • Ah ça oui. J’étais exactement comme toi mais quel festival, le grand Howard Hawks aurait approuvé cette screwball sans hésitation.

      Et Stanwyck … mon dieu quelle actrice. Il y avait un cycle sur elle au BFI il y a quelques années que j’ai très peu suivi, Je m’en mords les doigts maintenant.

  3. Sur wikipedia, il y a une photo d’elle en « Ziegfiel girl » lorsqu’elle avait 17 ans. ;)

    Ce que je trouve particulièrement injuste, c’est qu’elle n’est jamais obtenu d’Oscar pour un film. La remise d’un Oscar d’honneur en 82 (elle avait alors 75 ans !) ne peut racheter ce camouflet du monde du cinéma, comme il l’a souvent été décerné à plusieurs autres acteurs/trices…

    • Oh my god …. Je l’avais vue dans Baby Face, un film de 1933 d’avant le Code Hays et c’était déjà assez chaud.

      Pour les Oscars, je ne peux qu’être d’accord mais ce genre de célébration est de toute façon assez abonnée aux actes manqués. Il reste ses films, c’est bien assez.

  4. « Baby face » est un film que je n’ai malheureusement jamais vu. D’après le synopsis, cela doit être un superbe sujet !

    Un jour peut-être sur cine classique ? :)

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