Les forbans de la nuit (1950) de Jules Dassin

Voici ce soir le deuxième film du cycle du BFI consacré à l’actrice américaine Gene Tierney. Un film de 1950, du milieu de la carrière de cette actrice – dont les films les plus mémorables datent du début de sa carrière – tourné non pas à Hollywood mais à Londres, sorti en 1950. C’est un film au titre anglais étrange, Night and the city, traduit en français par Les forbans de la nuit, signé par le réalisateur Jules Dassin.

Harry Fabian est un petit arnaqueur minable. Son job régulier est celui de rabatteur, c’est à dire orienter des riches clients en goguette dans Londres vers une boîte de nuit, le Silver Fox Club, tenu par un certain Nosseross et dans laquelle la fiancée de Fabian, Mary, est chanteuse. En fait, Harry souhaite désespérément « d’être quelqu’un » et c’est pourquoi il se lance toujours dans des plans foireux, censé faire de lui un homme riche et qui nécessitent une mise de départ qu’il n’a évidemment pas et qu’il essaie d’emprunter le plus souvent à Mary. Un beau soir, il pense avoir trouvé l’affaire du siècle : réhabiliter les spectacles de lutte gréco-romaine à Londres, phagocytés à l’époque par les plus spectaculaires spectacles de catch, en s’associant avec Gregorius, une vieille gloire de ce sport, en faisant combattre son nouveau poulain. Pour démarrer, il a besoin de quatre-cents livres qu’il va demander à Nosseross.

Le film est a été souhaité par le producteur de la 20th Century Fox Daryl F Zanuck qui a tendu le livre de Gerald Kersh, dont le film est tiré, à Dassin et l’a expédié à Londres pour le tourner. Le film classé dans la catégorie « noir » et qui y ressemble par bien des aspects même si il n’en coche pas toutes les cases et la première originalité est justement que le lieu où se déroule l’action : la ville de Londres, est un personnage à part entière du film. A la différence des noirs classiques qui ont lieu dans un Los Angeles de studio, Les forbans de la nuit est assez largement filmés en extérieur et retranspose assez bien l’atmosphère du Londres interlope de l’après-guerre. C’est bien Londres qui est mentionné dans le titre anglais par le mot « city ». De nombreux lieux sont reconnaissables, Trafalgar Square, Piccadilly Circus, l’ambiance de ces boîtes de nuit, de cette petite criminalité avec laquelle Fabian fraye (paris douteux, faussaire, marché noir, faux mendiants) avec, cerise sur le gâteau, la scène finale qui se déroule au bord de la Tamise à dix minutes de chez moi (Hammersmith Bridge, les alentours ont pas mal changés mais le pont est toujours reconnaissable). Il s’agit indiscutablement d’un film d’atmosphère que Dassin parvient à restituer remarquablement.

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Le personnage principal et principal intérêt du film est donc celui d’Harry Fabian. Au début du film, on nous le présente comme un homme qui court dans les rues de Londres pour échapper à quelqu’un qui le poursuit et trouve refuge chez sa fiancée, Mary, qui comprenant que son poursuivant ne cherche qu’à recouvrer les cinq livres prêtées à Fabian, s’arrange pour le payer et clore l’affaire. Fabian éploré exprime à Mary son désir désespéré « d’être quelqu’un » et lui expose sa nouvelle combine pour faire d’eux des millionaires. Harry nous est donc, au début, présenté comme un homme volontaire et entreprenant et donc sous un jour favorable et ce n’est qu’après que Dassin va faire pâlir son étoile, en nous le présentant comme un minable qui n’arrivera jamais à rien, mais, pire que cela, qui utilise, pour tenter d’arriver à ses fins, des méthodes pendables – pas des actions abominables mais des magouilles douteuses – qui vont causer, non seulement sa perte mais aussi celles de quelques uns des personnages qu’il côtoie. Harry est donc un personnage ambivalent. On n’a pas une grand sympathie pour lui mais la destinée impitoyable qui est la sienne à la fin paraît assez démesurée en finit par susciter un sentiment de pitié.

L’autre grande adresse du scénario qui donne une autre dimension au film selon moi (une dimension encore plus tragique) est d’entremêler les déboires de Harry avec ceux d’Helen Nosseross. Helen est la femme de Phil Nosseross, le très riche propriétaire de la boîte de nuit. C’est une femme de rien, certainement une ancienne prostituée que son mari a « achetée » (c’est lui qui le dit en employant le mot dans le film) pour la sortir du ruisseau et qui est condamnée à vivre avec cet homme qu’elle déteste et qui lui inspire une répulsion physique. Helen n’a qu’une envie, s’émanciper, elle a un certain talent – pour gérer une boîte de nuit par exemple – mais le problème est que, comme pour Fabian, elle n’a pas l’argent ou les connections qu’il lui faudrait pour démarrer. Cette histoire dans l’histoire est assez géniale, à mon avis plus que celle d’Harry, et donne un relief supplémentaire à ce noir, rendu encore plus noir par le destin du personnage d’Hélène (vous remarquerez que, contrairement à mon habitude, j’ai très peu divulgâché le scénario jusqu’à présent).

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Le rôle d’Harry est interprété par un acteur que personnellement je n’attendais pas dans ces habits là : Richard Widmark. Abonné aux rôles de méchant, il joue ici un personnage, certes douteux, mais constamment traqué, qui ne peut qu’échouer – ce que tout le monde autour de lui sait, sauf lui – au vu du caractère invraisemblable de ses embrouilles et qui donc suscite une certaine compassion. Je trouve Widmark un peu trop beau gosse pour le rôle. on ne sait pas d’où vient Fabian mais il vient plus sûrement des bas fonds que des publics schools, ce que ses cheveux blonds, son regard franc et ses costumes clairs (des costumes de mac … certes) pourraient laisser penser. Le rôle de Mary est confié à Gene Tierney, un rôle de femme enfant incapable de sauver l’homme qu’elle aime, rôle que Tierney affectionne est dans lequel elle est impeccable et toujours aussi belle. Son rôle dans le film reste, en importance comme en volume, secondaire.

Si le film a été filmé à Londres, ce n’est pas par hasard : Zanuck a envoyé Dassin à Londres pour qu’il puisse tourner tranquillement, sans qu’il soit perturbé pour les possibles auditions exigées de la Un-American Activities Committee qui menaçait de le convoquer. Dassin allait en effet commencer à cette époque un long chemin de croix où il a été accusé par la commission McCarthy d’être un « communiste », avant d’être blacklisté et de s’exiler en France en 1953. Les forbans de la nuit est le dernier film américain de ce grand réalisateur, chassé d’Hollywood, pour des raisons absurdes, il faudra attendre une dizaine d’années pour que le furie Maccarthyste se calme et que le film soit enfin réévalué et apprécié enfin à sa juste valeur.

3 réflexions sur “Les forbans de la nuit (1950) de Jules Dassin

  1. Très bel article sur ce grand film de Dassin, sans doute un de ceux que je préfère. Widmark est génial je trouve. Fabian me fait penser à ce pickpocket dans « le port de la drogue » de Fuller, sauf bien sûr que l’action se passe à Londres et non à New York.
    On a vu beaucoup de Films Noirs sur la boxe, très peu sur le monde de la lutte. Dassin était ukrainien d’origine, peut-être déjà familier de ce sport importé par la diaspora caucasienne dans la Big Apple (je pense à ce film vu l’an dernier « Brighton 4th ») . J’aime beaucoup cette originalité qui met d’ailleurs en scène un véritable champion de la discipline (qui parlait plusieurs langue me semble-t-il).
    Et puis il y a Gene, une merveille à chaque fois qu’elle apparaît sur un écran. Il n’en faut pas plus à mes yeux pour en faire un film essentiel.

    • Absolument Princecranoir et merci pour tout ces détails. Je n’ai pas vu le Fuller, en fait Fuller est un réalisateur que je connais très peu.

      Je connais assez peu Widmark aussi d’ailleurs et la lutte … n’en parlons pas. Autant sire que le film donne une vue intéressante sur le sujet.

      Pour moi, j’ai une tendresse particulière pour « l’histoire dans l’histoire », le destinée terrible d’Helen Noseross qui rend le film purement tragique et qui, pour moi, le grandit.

      • C’est vrai que cette dimension tragique, « à l’antique » comme disait Tavernier, rehausse le niveau du film. Je l’avais d’ailleurs abordée dans mon propre article.

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