Le Casanova de Fellini (1976) de Federico Fellini

Voici le quatrième film du cycle dédié à Federico Fellini au BFI que je vais voir … en une semaine. Ca commence à faire mais on ne se lasse pas. Cette fois-ci, il s’agit de voir un film que je n’avais jamais vu auparavant et d’une période de sa carrière que je connais mal : l’après 1973 et son grand succès Amarcord. Voici donc Il Casanova de Fellini.

Venise, XVIIIème siècle. En pleine période de carnaval, un jeune libertin a rendez-vous sur une petite île de la lagune près d’une chapelle. C’est une nonne qui l’y a invité, une nonne en service commandé : il s’agit de faire l’amour au milieu de la chapelle, tout en étant observée, par un œilleton situé sur un mur de l’édifice par l’ambassadeur de France de Bernis avec obligation pour le jeune homme de « performer ». Après s’être acquitté de sa tâche avec zèle, il quitte l’île en barque et se fait arrêter, puis jeter dans une geôle crasseuse par l’inquisition où il tue son ennui en se masturbant en pensant à une jeune fille qu’il a guérie de son hypotension (que les médecins pensaient soigner à coup de saignées) en la … comment dire … trombinant.

Il a fallu trois ans pour préparer le projet du film qui ne verra le jour qu’en 1976 et qui avait déjà découragé deux producteurs, dont Dino De Laurentiis qui avait été déjà sollicité sur les Fellini du début (La strada et Les nuits de Cabiria). C’est finalement Alberto Grimaldi qui va s’y coller et qui va mener la vie dure au réalisateur : le film sera enfanté dans le douleur, sur fond de bisbilles entre l’artiste et la production qui prétend que le tournage dure trop longtemps et coûte trop cher (ce que Fellini nie farouchement). Il faudra beaucoup d’abnégation – et il faudra aussi couper 20% des séquences prévues – à Fellini pour arriver au clap de fin.

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Fellini avait commencé à lire les douze tomes, 3 500 pages et 1,2 millions de mots de L’histoire de ma vie de Giacomo Casanova avant … d’arrêter peu après car le livre, un « océan de papier plus ennuyeux et déprimant que l’annuaire téléphonique » l’avait passablement ennuyé. « Même les plus beaux appartements deviennent stériles quand ils sont décrits par un journaliste de cour » dit-il au sujet de l’œuvre. Bigre ! Il décide alors de faire ce qu’il avait déjà fait pour Roma et pour le Satyricon : de nous donner sa propre version du mythe, une version complètement différente. En fait, il entreprend avec frénésie de déconstruire le mythe de Casanova. Il explique (toutes les citations sont tirés d’un entretien avec Costanzo Costantini cité dans la notice du BFI) qu’il « avait toujours pensé que les mythes étaient quelque chose de vital, quelque chose à cultiver plutôt qu’à détruire. C’est maintenant au mythe de prendre sa revanche et de me détruire ».

Le choix de l’acteur principal s’est avéré bien entendu crucial. Dino De Laurentiis avait suggéré Robert Redford ou Al Pacino et, lorsque Fellini lui a expliqué gentiment que ces choix « feraient du film l’exact opposé de ce qu’il voulait faire », il s’est retiré du jeu. Fellini voulait Gian Maria Volonte mais cela n’a pas été possible et le rôle a finalement échu à l’acteur canadien Donald Sutherland dont les scènes de sexe avec Julie Christie dans le film Ne regardez pas avaient déjà fortement impressionné. C’est l’acteur qu’il fallait à Fellini qui le qualifie de « statue de cire et de sperme avec les yeux d’un masturbateur ». Sûr qu’avec ce genre de compliment, la carrière de Sutherland a dû être relancée. L’acteur était cependant pétri d’admiration pour son réalisateur et est arrivé sur le tournage en ayant consciencieusement étudié son personnage … pour que Fellini lui explique qu’il fallait tout oublier et que ce n’était pas la peine de se donner tout ce mal. Le tournage a été une épreuve alors que chaque scène requérait des heures de maquillages pour quelques minutes de film. Quant à sa prestation ? Si on adhère au projet de Fellini – ce qui n’est pas tout à fait mon cas -, elle est impressionnante. Il incarne avec majesté un personnage vain, imbu de lui-même, méprisable, qui devient hideux mais aussi touchant à la fin de sa vie, exactement ce que souhaitait le réalisateur. Du grand art.

Le film est ce qu’il faut bien appeler un film à sketches, c’est à dire composé d’un certain nombres de séquences alignées les unes à la suite des autres avec un lien entre elles plutôt ténu. En fait, le lien devrait être de déconstruire le mythe de Casanova, projet originel de Fellini, mais j’ai plutôt pensé que le lien était en fait un point commun qui est que dans chacun des sketches, on avait un Casanova grandiloquent qui nous faisait une tirade sur l’amour charnel avant de conclure la scène en forniquant avec une femme différente à chaque fois: nonne, marquise, femme du peuple, et même une femme hercule de foire, et même un poupée mécanique (on se croirait dans Les Contes d’Hoffmann), tout y passe, c’est la cas de le dire. Et cela pendant deux heures trente trois minutes. Je dois admettre que j’ai trouvé cela un peu répétitif.

Au crédit du film – comme pour le Satyricon, film tourné sur le même principe et que je n’ai pas trop aimé non plus – on doit mettre les décors et les costumes qui vaudront d’ailleurs à son designer, Danilo Donati, un oscar. 54 plateaux de Cinecitta seront monopolisés ce qui est énorme pour montrer cette Venise rococo du XVIIIème siècle, et aussi dans toutes les cours d’Europe que Casanova va visiter. Tout est somptueux, la scène d’ouverture du carnaval de Venise est époustouflante, la variété des costumes de Casanova est impressionnante, la scène d’orgie à Rome organisée par le lord anglais, les costumes du dîner à Parme avec la pièce de théâtre organisée par le marquis de Bois et jusqu’aux scènes un peu plus froides à la fin au château de Dux: tout n’est que débauches de couleurs, d’ors, de satin, de brocarts … Tout cela ainsi que de très beaux plans assez recherchés font du film un très bel objet visuel à défaut, malheureusement pour lui, de susciter l’émotion.

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Car d’émotion point. Un tout petit pincement à la fin lorsqu’un Casanova déchu, considérablement enlaidi (merveille du maquillage là encore) ne peux plus séduire personne et croupit dans un emploi subalterne de domestique sous les railleries de ses camarades, mais c’est tout. Le répétition des scènes de sexe sans aucune étincelle, et tout simplement le mépris affirmé par Fellini pour son personnage rejaillit sur les spectateurs qui ne peuvent pas vraiment sauver l’affaire. Une critique du New York Times d’époque considérait le film comme « spectaculaire mais sans joie ». C’est exactement ce que je pense ou pour le dire différemment, il faut un projet précis et bien ficelé pour faire un film captivant sur un personnage qu’on n’aime pas. Dans ce cas-ci, les conditions ne sont pas remplies.

Le film a été un échec commercial partout sauf au Japon (!). Fellini – toujours dans son interview – estime que le public a été déconcerté par l’image qu’il donne de Casanova et cela bien que personne n’ait lu les Mémoires et ne sache qui il est vraiment. Il conclut en disant que « on peut dire du mal du sujet mais pas trop : après tout, c’est un monument phallique national (sic !) ». C’est amusant mais à mon avis un peu court. Si le film n’a pas subjugué les foules, c’est peut-être parce le projet a beau être la vision personnelle d’un grand artiste, le public, dont moi, ne la partage pas du tout. Cela me semble plus sensé comme explication. Enfin bref, compris ou pas, pour terminer ce post sur une note personnelle, signalons un motif de contentement : j’ai considérablement amélioré mon italien pendant cette séance parce que j’avais un monsieur grand et massif dans le siège juste devant moi qui me cachait le bas de l’écran ce qui fait que je n’ai vu que 10% des sous-titrages, et vous savez-quoi, il (mon italien) n’est pas mauvais du tout. Comme quoi à quelque chose malheur est bon!

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