Le royaume des diamants (1980) de Satyajit Ray

Le film que je viens de voir ce soir a pour titre Le royaume des diamants (1980). Il fait partie du cycle consacré à Satyajit Ray au BFI et ne ressemble à aucun des autres de l’artiste, c’est même un OVNI dans la litanie des films que j’ai vu dans la mesure où il s’agit d’un film qui a d’abord séduit les enfants, une espèce de conte parodique avec de la magie où, on l’imagine, les méchants sont toujours punis.

Goopy et Bagha sont les gendres du roi de Sundi. Ils restent au palais à ne rien faire et finissent par se décider à explorer le monde, à l’aide de leurs chaussons magiques qui leur permettent de se téléporter n’importe où. C’est alors qu’ils arrivent au royaume de Hirak, dirigé par un despote qui achète la fidélité de ses zélateurs avec les diamants extraits de ses mines, et qui possède une méthode simple et efficace pour réduire les opposants au silence : le lavage de cerveau, une machine qui les transforme en zombies qui passent le reste de leur vie à ânonner des slogans à la gloire du tyran.

C’est sûr que ce ce synopsis ne ressemble pas à celui de Pather Panchali ou de Charulata. En fait, il s’agit du sequel d’un film tourné en 1968, intitulé Goopy le chanteur et Bagha le joueur de tambour, qui a eu un succès populaire phénoménal et que Ray a prolongé douze ans plus tard, cédant ainsi aux demandes des fans. Il s’agit à peu près de Laurel et Hardy rencontrant Ubu roi avec de la magie et des chansons.

Oui, des chansons ! le film est aussi – ce qui a rallié les enfants j’imagine – une sorte de comédie musicale colorée avec pas mal de chansons dont certaines chantées in extenso (ce qui donne quelques intervalles chantés parfois un peu long comme le voyage au début). Les chansons n’occupent pas toute la durée du film, elles sont exclusivement chantées par Goopy lorsqu’il fait usage de ses pouvoirs magiques, sa voix ayant le pouvoir de paralyser tout être vivant aussi longtemps qu’il continuera à chanter.

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Le chansons sont parfaitement niaises, certaines vraiment dans le style « oh quel beau soleil ce matin » ce qui m’a un peu irrité au début. La niaiserie fait aussi parfois avancer le scénario, et fait même parfois rire lors de la savoureuse scène du tigre où Goopy ne peut pas s’arrêter de chanter – sauf à libérer, dé-paralyser le fauve – et où, terrorisé, il chante n’importe quoi y compris des injonctions à son frère dans le style « dépêche toi Bagha il va falloir partir d’ici ».

Les personnages sont hauts en couleur et assez forcés mais c’est le style qui veut cela. Goopy et Bagha sont très niais, très bien intentionnés, dotés de pouvoirs très magiques et en fin de compte très sympathiques. Il sont interprétés par les mêmes comédiens qui les jouaient douze ans plus tôt : Tapen Chatterjee pour Goopy, le grand, le chanteur et Rabi Gosh, Bagha, le petit, le percussionniste. Le roi est joué par Utpal Dutta, un acteur, réalisateur, homme de théâtre indien remarqué pour l’approche marxiste de son art ce qui ne manque pas de sel pour interpréter un tyran totalitaire et Udayan, le maître d’école, opposant et rebelle numéro un, est joué avec un look très Jésus Christ par Soumitra Chatterjee himself, un grand fidèle de Ray puisqu’il jouait déjà le Apu du Monde d’Apu, quelque vingt ans plus tôt.

Le film, comme tout ceux de Ray dans la décennie 1970, contient un indiscutable message politique anti-totalitaire, message simple mais aussi bienvenu car le film, rappelons-le, s’adresse aussi en partie aux enfants. On y trouve le régime omnipotent qui gouverne par la terreur avec ministres aux ordres, l’autodafé des livres de l’école du pauvre Udayan, le lavage de cerveau systématique parfaitement orwellien et la scène isolée (rien ne la justifiait) des malheureux vivant dans un campement de tentes et chassés manu militari par les nervis du régime avant de les parquer de force dans un camp. Cette scène m’a fait penser à une simple scène de raffle où les pauvres gens attrapés seraient entassés à Drancy ou au Vel d’hiv mais j’avais tout faux. De l’aveu même de Ray, qui pourtant a toujours été réticent à prendre parti au niveau politique, il s’agit d’une allusion à la démolition brutale des bidonvilles de Delhi, ainsi que d’autres villes, par le gouvernement d’Indira Gandhi pendant l’état d’urgence décrété entre 1975 et 1977. Cela n’aura échappé à aucun indien de l’époque, pour ce qui est de moi … je suis évidemment passé à côté.

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C’est le premier film de Ray que je vois en couleur (Ray a tourné en couleur pour la première fois dix-huit ans plus tôt, en 1962) et le changement est assez drastique. La couleur dans le film est chatoyante, Ray reprend les méthodes des comédies musicales occidentales, couleurs saturées, scénario fantaisiste mené par l’action et les chansons, en bref le spectateur est en terrain connu. On aime ou on n’aime pas, moi je dirais que j’aime mais vraiment sous conditions et que dans ce cas là, les conditions sont à peu près remplies. La maîtrise de la couleur par Ray est impressionnante, beaucoup de plans sont « beaux » avec en plus quelques petite extravagances dans le découpage comme les gros plans savoureux sur les visages des autres rajahs invités – et paralysés par la chanson de Goopy – avec leurs énormes moustaches et leurs turbans improbables.

Ce film est pour moi un interlude dans le long cycle Satyajit Ray auquel je me suis astreint – pour mon plus grand plaisir, rassurez-vous -. C’est un film qui m’a un peu dérouté, voire rebuté au début, mais une fois que l’action est lancée (lorsque le maître d’école est en cavale), on finit par y prendre goût. Je dois aussi admettre que je ne suis peut-être pas le cœur de cible pour ce genre de film qui parle certainement plus aux indiens et aussi surement aux enfants. Le film a d’ailleurs eu un grand succès à tel point que Ray a reçu de nombreuses lettres de fans réclamant un troisième épisode. Il a voulu satisfaire leurs demandes malgré la fatigue induite par un tel projet pour un réalisateur vieillissant. Il a écrit, à partir de 1989 douze chansons pour ce troisième épisode ainsi qu’une histoire (incluant la lutte contre le travail forcé des enfants), Tapen Chatterjee et Rabi Gosh ont accepté de rempiler, la réalisation a été confiée à Sandip Ray, le fils du maître et le film est finalement sorti au Bengale en 1992. A peu près au même moment, Satyajit Ray s’éteint à l’hôpital, suite à des problèmes cardiaques. Il avait 70 ans.

3 réflexions sur “Le royaume des diamants (1980) de Satyajit Ray

  1. Un Satyajit Ray ! Et que je n’ai pas vu. Merci pour ton post, on ne parle jamais assez de ce cinéaste. Ce que tu dis sur le fait d’avoir été dérouté au début me fait un peu penser à ma réaction au début devant Le Dieu Elephant, également avec le grand Soumittra Chaterjee.

    • C’est très très particulier, encore plus que Le dieu éléphant (ce film est d’ailleurs mon prochain post sur Ray, je suis un peu moins enthousiaste que toi).

      C’est une curiosité, qui gagne forcément à être connue mais que je ne reverrai pas forcément, Un des plus grands succès populaires de Ray, au Bengale surtout.

      • Merci ! De toute façon, j’aime tellement Ray que j’ai du mal à ne pas aimer ses films – même Le Dieu Elephant en effet.

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