Novembre (2022) de Cédric Jimenez

Un des blockbusters français qui a fait couler beaucoup d’encre l’an dernier vient de sortir ici en Angleterre, signé pas la coqueluche des producteurs du moment (celui qui fait venir les gens, y compris les jeunes dans les salles) : Cédric Jimenez. C’est donc son film Novembre (2022), que je suis allé voir en ce mois de juillet caniculaire.

Athènes, 2015. Un présumé terroriste qui se terrait dans un squat échappe de justesse à une action musclée de la police d’élite grecque, commanditée par un flic français. Paris, 13 novembre 2015, dans la soirée. Un policier est seul de permanence dans une salle de contrôle de la Sous Division Anti-Terroriste (SDAT) de la police judiciaire lorsqu’il entend un téléphone sonner. Il va pour le décrocher lorsqu’un deuxième se met à sonner, puis un troisième, puis un autre et encore un autre : en moins d’une minute, la trentaine de téléphones de la salle se mettent à sonner en même temps. Il faut dire que des tirs d’arme à feu sur la foule ont été rapportés aux alentours du stade de France, ainsi que dans le dixième arrondissement de Paris. Un peu plus tard, c’est au Bataclan que des coups des coups de feu sont entendus.

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Est-ce la peine de raconter ce synopsis après tout? Novembre est un film documentaire dont on (y compris moi qui essaie toujours de ne rien savoir du scénario d’un film avant d’aller le voir) connaît le début et la fin. C’est clair dès la première image, il s’agit de répondre d’abord et avant à la question « comment ». La réponse au « quoi », est connue, celle au « pourquoi » n’est pas traitée dans ce film qui privilégie l’action et dont la réponse dépasse de toute façon l’entendement de pas mal de gens dont le mien.

Le film est d’abord et avant tout un film d’action, un genre dont le cinéma français n’est pas spécialiste, qui a été assez largement abandonné aux américains, souvent (mais pas tout le temps) pour le pire. Et Jimenez de s’imposer, surtout depuis BAC Nord, son précédent film (que je n’ai pas vu), comme le spécialiste français du genre. Et Novembre est une réussite de ce point de vue là. Si je dis dans mon premier paragraphe qu’il « fait venir les gens, y compris les jeunes, dans les salles », ce n’est pas ironique, c’est d’une part vrai mais cela se réalise sans renoncer à une certaine qualité. Jimenez filme l’action comme peu de cinéastes contemporains arrivent à la faire. Il articule avec maestria les scènes fortes en usant parfaitement des techniques du cinéma d’action : plans en contre-plongée, montage nerveux, musique syncopée, images en caméra subjective, emploi de drones… Tout y est. On est scotché à son siège du début jusqu’à la fin, on ressort du film assez épuisé, autant au moins que les personnages dont on a observé l’activité frénétique pendant une heure quarante-cinq. Jimenez est, dans ce domaine, quelqu’un qui joue clairement dans la cour des grands. Je l’avais déjà subodoré lors de l’autre de ses films chroniqué sur ce blog (La French, 2014), mais là, le doute n’est plus permis.

Ensuite, il convient d’introduire l’autre artiste auquel le film doit beaucoup : Olivier Demangel, scénariste. Le film est une fiction basée sur des faits très réels (et qui parlent à n’importe qui a vécu ces moments là – dans les médias s’entend, pas en vrai -) mais une fiction très documentée, et finalement très documentaire. La manière dont fonctionne la brigade, les relations avec les hiérarchies, y compris les politiques, les origines diverses des flics qui la composent, la manière de mener des interrogatoires pour fair parler les suspects, les méthodes d’action aussi bien des flics de base que des troupes d’élite comme le RAID et surtout la pression invraisemblable qui pèsent sur ces hommes et ces femmes dans l’œil du cyclone pour « produire des résultats » (quels qu’ils soient) sans vraiment rien savoir ni quoi, ni qui ni où chercher, tout cela est restitué avec une précision entomologique qui, couplée avec la tension générée par la mise en scène de Jimenez, donne un effet réalité qui renforce considérablement la crédibilité du film.

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Autre détail scénaristique important : le choix a été fait de ne filmer ces événements que du côté des flics. On voit sous toutes les coutures la véritable ruche qui s’est constituée en quelques minutes autour de Fred, le commissaire et personnage principal, mais c’est tout. Ce qui implique aussi qu’on ne voie rien, absolument rien, des attentats eux-mêmes, on les évoque seulement et on ne les ressent qu’en couplant les visages effarés des personnages sur l’écran avec notre propre ressenti et c’est bien suffisant. Ce qui fait de ce film un film très pudique pour traiter d’un tel sujet, un film qui atteint assez bien sa cible puisque l’image, exclusivement mentale, qu’on se fait de l’horreur de la scène du crime dépasse en intensité ce que bien des cinéastes auraient pu filmer si ils l’avaient souhaité.

Le casting contient la fine fleur du cinéma en 2022. Les acteurs sont sobres, ne tirent pas la couverture à eux et adhèrent au cahier des charges du film qui est de raconter la sidération collective et les efforts frénétiques déployés en équipe pour réagir face à une situation de crise. Dans cette équipe, on trouve Jean Dujardin qui joue le rôle de Fred, le commissaire, Sandrine Kiberlain jouant Héloïse, sa patronne, avec dans les rôle des flics principaux Anaïs Demoustier, la jeune flic Inès, venue de Roubaix, plus « moderne » et Jérémie Rénier en Marco, le flic plus à l’ancienne. Le rôle le plus touchant du casting à mon avis, celui que je ferais sortir du lot, est celui de Samia, la jeune femme qui va tuyauter les flics sur la planque des terroristes, interprété par une Lyna Khoudri à fleur de peau, vraiment touchante, une belle actrice que je vois pour la première fois à l’écran.

Le doute n’est donc plus permis : Cédric Jimenez est donc bien un réalisateur qui compte, un homme qui s’est frotté à un genre atypique – le cinéma d’action – et qui a su y faire vu qu’il a quand même attiré l’an dernier deux millions quatre-cent mille entrées d’un public séduit en salle. Je fais partie de ces gens, même si je n’ai pas gonflé le nombre des entrées 2022, et comme ce post en atteste, j’ai été séduit, séduit et surtout essoré. L’air frais en sortant de la salle m’a fait un peu respirer après ce film oppressant et ne m’empêchera certainement pas d’aller voir le prochain film de Jimenez qui trouvera le chemin des écrans londoniens.

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