Vacances (1938) de Georges Cukor

Un jeune homme s’est épris d’une jeune femme rencontrée par hasard et les tourtereaux ont décidé très rapidement de convoler. Lorsqu’il se rend chez la famille de sa fiancée pour être présenté à sa famille, il réalise que celle-ci est l’héritière d’une des plus riches familles de New York, habite dans une immense mansion alors que lui est d’extraction modeste. La jeune homme séduit, – malgré son origine populaire – le père qui finit par consentir à l’union par son charme, son bagoût et aussi, et surtout, son sens des affaires à tel point que le père finit par se réjouir en fin de compte d’avoir un futur gendre aussi talentueux, dur à la tâche qui pourra peut-être un jour lui succéder. Le jeune homme va cependant s’apercevoir que la nouvelle vie dans laquelle il va s’engager est une vie mondaine, futile, couplée avec un dur labeur dans l’unique but de gagner toujours plus d’argent, avec le montant sur son compte en banque pour ultime horizon, pour unique mesure de sa réussite. Cela va entrer en conflit avec certains de ses idéaux, avec quelques petits plaisirs de sa vie d’avant. Il ne pourra probablement plus côtoyer ses anciens amis et rigoler avec eux, des plaisirs bien trop roturiers pour quelqu’un de son rang. Quant à faire des choix de vie – comme partir en vacances faire un tour du monde par exemple – qui ne seraient pas en phase avec la réussite professionnelle qu’on attend de lui, n’y pensons plus ! Il va cependant trouver quelques alliés dans cette grande famille américaine, le frère de sa fiancée, alcoolique, raté, qui a toujours secrètement rêvé de s’échapper de ce milieu étouffant mais n’en a jamais eu la courage d’abord, et ensuite et surtout la soeur, vilain petit canard d’une famille qu’elle ne supporte pas, recluse avec ses rêve d’enfants dans la salle de jeu ou elle jouait quand elle était petite fille et en conflit larvé avec le père et la soeur. Les certitudes du jeune homme vont être petit à petit ébranlées et il va se trouver des points communs, et même plus, avec la soeur de sa fiancée.

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Voilà un jolie bluette, toute mignonne, assez prévisible, lisse, sans surprise. En 2014, cela aurait donné un film américain en rose bonbon,. avec Reese Whitherspoon ou Kyra Knightley dans le rôle de la soeur et Colin Farrell ou James McAvoy dans le rôle masculin. Le réalisateur aurait été … quelqu’un dont on aurait oublié le nom car cela n’a finalement pas grande importance et le film aurait été classé dans le genre feelgood movie ou comédie romantique.

Oui mais voilà. Nous sommes en 1938. Ce film, dont le titre anglais est Holiday est réalisé par un certain Georges Cukor et les acteurs principaux se nomment Cary Grant et Katharine Hepburn. Le film se classe non pas au rang des comédies romantiques mais dans le genre très particulier des screwball comédies.

Et croyez moi, cela change tout. D’abord, cela paraît étrange de le dire, mais ce film est drôle, vraiment drôle. On ne sourit pas, on rit, parfois aux éclats, ce qui est plutôt rare de nos jours. On pleure aussi à la fin, prévisible certes mais émouvante.Et tout cela parce que simplement monsieur Cukor est un cinéaste, un vrai. Un talentueux personnage qui connaît parfaitement les codes de son art, les utilise à la perfection pour obtenir du spectateur exactement le réaction qu’il veut. Il est servi en cela par deux acteurs … comment dire … disons simplement que l’acteur masculin Cary Grant est à mes yeux les plus talentueux interprète masculin que j’aie jamais vu sur un écran et que Hepburn est également l’une des plus magnifiques actrices du temps, et probablement de tous les temps pour des rôles de ce style (je ne m’apesantirai pas plus sur ces deux là car nous allons les retouver dans des posts ultérieurs sur ce blog. Je garde donc mes compliments pour avoir un peu de contenu pour mes posts futurs).

Ce film est tiré d’une pièce de théâtre à succès de Philip Barry. Une première version avait été tournée en 1930 avec Ann Harding dans le rôle joué par Hepburn, celui de Linda, la soeur et Mary Astor dans celui de Julia, la fiancée. Un remake en a donc été fait huit ans plus tard mais cela n’avait pas vraiment d’importance à cette époque où la télé n’existait pas, où il n’y avait donc pas de « rediffusions » de films, même à succès, et où en fait un film était vite oublié du public une fois sorti de la salle de cinéma.

La pièce est donc refilmée par Cukor, pour le studio Columbia. Cukor est un réalisateur à succès et Columbia souhaitait reconduire pour ce flim le duo gagnant du film Cette sacré vérité (The awful truth) l’an dernier : Cary Grant et Irene Dunne. Oui mais voilà. Cukor avait décidé qu’il voulait Katharine Hepburn et rien ne le ferait changer d’avis. Il aura donc Katharine Hepburn.

A l’époque, les acteurs étaient un peu comme des chevaux, ils étaient sous contrat avec un studio qui pouvait décider de où ils jouaient et surtout leur interdire de jouer dans un film d’un studio concurrent. Hepburn étant,en contrat chez RKO, elle avait besoin d’une autorisation pour venir chez Columbia qui avait les droits de la pièce de Barry. Hepburn était au creu de la vague en 1938. Elle avait à l’époque la réputation d’être un « box office poison », un certain nombre des ces films n’ayant pas rapporté les revenus attendus au studio (avec le recul, cela paraît hallucinant) et c’est pourquoi RKO ne s’est pas fait trop prier pour autoriser Hepburn à racheter son contrat pour $75,000. C’était très risqué pour elle : quitter un système des studios, très contraignant mais aussi très protecteur (après tout, les acteurs sont payés) pour l’inconnu, sans garantie de revenu et avec une assez mauvaise réputation d’actrice qui ne fait pas rentrer d’argent dans les caisses, le risque était grand. Mais il faut dire aussi que Hepburn jouissait d’une confortable fortune personnelle qui lui permettait ce genre de bravade sans prendre trop de risques pour sa subsistance.

Hepburn connaît la pièce, et pour cause. A sa sortie du Bryn Mawr college, en 1928, son premier « emploi » fut justement à Broadway en doublure de la grande actrice de l’époque Hope Williams qui jouait précisément … le rôle de Linda dans la pièce Holiday ! Elle garde beaucoup d’amertume de cette expérience car elle n’eut jamais l’occasion de jouer – elle n’était que doublure -, elle affirmera plus tard « Etre une doublure est presque pire que ne pas être au théâtre du tout si vous doublez quelqu’un qui ne manque jamais une représentation ». « A la fin du spectacle et alors que j’avais perdu tout espoir de jouer, Hope, inquiète m’a proposé ‘Veux tu que le reste à la maison pour l’une des représentations de l’après-midi comme cela tu pourras jouer le rôle une fois à Broadway’. J’ai répondu ‘Non merci’. C’était un geste magnanime et je n’ai pas été très gracieuse en le rejetant. ». Dix ans plus tard, et avec le soutient de Cukor, l’actrice prend sa revanche.

Sa prestation est inoubliable. Elle y déploie la très large panoplie de son talent qui est immense. Pour ne citer qu’un exemple, j’évoquerai le moment où, dans le film, Hepburn désigne a Grant les divers jouets dans sa salle de jeux où elle était enfant. Il y a la poupée de Julia (la future fiancée) et il y a une girafe en peluche qui était, et est toujours, son jouet favori. Elle affirme alors que « la girafe … c’est moi » et prend une pose inoubliable ou elle adopte la même attitude que la girafe : la même pose, le même regard et le même nez pointu. Scène furtive, mais merveilleuse, petite preuve parmi d’autres de l’immense talent d’Hepburn. L’actrice de surcroît n’est pas comme ces actrices prudentes qui ne mettraient jamais leur réputation en jeu à prendre des poses où elles n’apparaitraient pas à leur avantage (ressembler à une girafe, vous n’y pensez pas !), où elles ne ressembleraient pas à leur image de papier glacé. Sûre de son talent, Hepburn n’a aucune hésitation à jouer ces rôles, surtout si c’est Cukor qui le lui suggère.

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Il y a un certain nombre de phrases d’anthologie dans Holiday. Je n’en citerais qu’une, valide en 1938, qui n’a pas pris une ride lorsque Grant exprime l’idée de prendre une année sabatique, partir en voyage plutôt que de travailler dur pour gagner de l’argent et où son futur beau-père est outré. Linda / Hepburn : « Mais n’a-t-il pas le droit de vivre sa vie comme il l’entend ? ». Le père : « Linda, j’aimerais comprendre où tu veux en venir mais je dois admettre que je ne peux pas. Je considère son attitude comme… anti-américaine (un-American) »

Je suis resorti ébloui de la projection de Holidays. Et le lendemain, je me suis précipité sur le site du BFI et ai racheté deux autres tickets pour deux autres films de Hepburn à venir, pour essayer de ne rater aucune de ces pépites.

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