Amarcord (1973) de Federico Fellini

Ce blog contient des chroniques sur tous les grands films de Federico Fellini (la BFI s’est fendu d’un cycle il y a quelques années) à l’exception d’un seul: Amarcord, que j’avais raté à l’époque pour des problèmes de calendrier. C’est ce film là, sorti en 1973, que le Garden Cinéma a décidé de projeter ce soir dans le cadre des « Members’ pick » i.e. quelqu’un, qui fait parti des membres du cinéma – j’aurais pu le faire – suggère un film et il est incorporé au programme. Un choix judicieux.

Dans un petit village traditionnel de Romagne, dans l’Italie fasciste des années 30, les fleurs des peupliers libèrent des touffes de pollen qui volent au vent annonçant l’arrivée du printemps. C’est alors qu’une grande joie traverse le village et que tous les habitants s’affairent pour préparer le grand feu de joie traditionnel qui vient célébrer l’événement.

En 1967, Fellini, gravement malade va en cure à Manziana pendant un mois et commence à écrire un livre sur ses souvenirs d’enfance, La mia Rimini, racontant « la vie dans une ville de province qui ne se développe pas et où on vit comme dans un poulailler » (sic !). Séduit par son propre livre, Fellini va alors s’adjoindre les services de Tonino Guerra, un poète né pas très loin de Rimini en 1920, la même année que Fellini. C’est un grand ami d’un autre réalisateur voisin, un certain Michelangelo Antonioni (originaire lui de Ferrare). Ces deux là vont s’atteler à scénariser le livre, en fait le transformer complètement pour en faire un film. Ce film, ce sera Amarcord.

amarcord

Amarcord est un terme de patois Romagnol qui signifie en gros « Je me souviens », et qui, aux dires même de Fellini, voudrait dire un peu plus, une sorte de « Il était une fois ». Le titre est particulièrement bien choisi pour un film qui nous montre des souvenirs d’enfance du jeune Fellini dans la banlieue de Rimini, sur la côte adriatique. Le fil conducteur de l’action est ténu, il consiste à suivre le personnage de Titta, un adolescent du village, élevé dans une famille bourgeoise – dont le père est secrètement anarchiste – haute en couleur, qui fait les quatre-cents coups avec ses potes dès qu’il en a l’occasion, et aussi amoureux de la belle coiffeuse, un peu aguicheuse, Gradisca (craquante Magali Noël).

Le film est composé de tableaux, qui égrènent chacun un des souvenirs – peut-être s’agit-il de rêve ou plus surement de fantasmes – de la jeunesse de Fellini. Les scènes ne sont pas réalistes, elles sont d’ailleurs souvent outrancières avec des personnages caricaturaux, des « gueules » comme Fellini les aime, mais nous décrivent les événements qui viennent animer la vie au village : l’arrivée du printemps, les pitreries des ados à l’école, la visite des dignitaires fascistes, la « sortie » de l’oncle fou qu’on tire de l’asile l’espace d’une après-midi, l’expédition sur la mer pour admirer le paquebot, les estivants qui se pressent très chic Grand Hôtel en cette période de tourisme balnéaire naissant, les expériences sexuelles balbutiantes et souvent pathétiques des ados, la mort de la mère, la course de voitures, le mariage champêtre à la fin. Et ces scènes sont animées de personnages non moins truculents : les professeurs ridicules, Volpina la nymphomane, le motard fou, l’oncle jouisseur de Titta, la buraliste à forte poitrine, l’accordéoniste aveugle, l’avocatto qui fait office de guide touristique, Biscein le matamore et enfin Gradisca la belle coiffeuse. C’est une jolie collection de cartes postales d’une Italie disparue. Dans un autre lieu et en un autre temps, ce seraient des scènes de Milet dessinées par Daumier. C’est beau, enlevé, souvent drôle, en tout cas profondément nostalgique. Et ça marche : on suit Fellini dans son exploration de ses souvenirs et je me suis surpris à avoir aussi la nostalgie de ce monde qui m’est pourtant complètement étranger.

Cela va sembler une boutade, mais je crois sincèrement que c’est le film de plus fellinien du réalisateur. Nous sommes très loin du « compagnonnage » avec le néo-réalisme de son début de carrière (je ne crois pas qu’on puisse dire que Fellini ait été néo-réaliste stricto sensu) et nous sommes au zénith de son milieu de carrière, à l’époque de la maturité, où l’homme va créer un univers bien à lui et construire ses films autour. Armarcord est le film qui suit immédiatement Roma et précède Casanova – deux films, surtout Roma, qui rentrent dans ce cadre – et il leur est à mon avis supérieur.

amarcord1

Alors oui, on se laisse entraîner dans ce doux maelström des souvenirs délirants, mais il y en a un qui sort à mom avis du lot et qui apporte la seule note grave à ce film au demeurant foncièrement bienveillant : la visite des dignitaires fascistes. On la sent un tout petit peu venir avec la musique – la ritournelle de Nino Rota s’efface pour laisser place à une fanfare plus martiale – avant que surgisse, de manière un peu grotesque dans la fumée dégagée par le train, une armada d’officiels vêtus de noir. C’est à ce moment que, pour moi, le film a quitté le monde des rêve pour trouver sa place dans l’histoire. Alors on pourra dire certes que la séquence est bouffonne – elle l’est – l’immense portrait fait de fleurs de Mussolini qui donne vie au fantasmes de l’adolescent obèse est grotesque mais le pli est pris : le petit village bien tranquille vit dans un pays sous la botte fasciste. Les notables du village, curés et fonctionnaires du pouvoir central (dont le carabinier qui va épouser Gradisca à la fin) ne peuvent qu’avoir collaboré avec le régime. En revanche, le personnage d’Aurelio, le père de Titta, qui apparaît sous un jour ridicule avant, qui apparaîtra sous un jour ridicule après, prend une stature toute différente (qu’il conservera, pour moi en tout cas, jusqu’à la fin du film), celle du petit héros de campagne, celui qui n’est pas dupe du décorum fasciste, qui a des sympathies anarchistes qu’il va soutenir même pendant la torture qu’il a à subir de la part des sicaires du régime. A ce moment là, Aurelio pour moi entre dans l’histoire, sort du rêve cotonneux du film pour s’incarner en résistant, en partigiano. C’est le seul personnage du film qui a ce mérite et ce n’est que justice.

La musique de Nino Rota … est-ce vraiment nécessaire de commenter la musique de Nino Rota ? Elle est magnifique, le thème principal jalonne le film est accordé sur tous les tons (orchestré, solo, langoureux etc..). Comme souvent chez Fellini, elle est indissociable du film, elle l’accompagne, l’aide à prendre sa forme définitive et à imprimer dans nos esprit la nostalgie que Fellini a souhaité nous transmettre. A chaque film de Fellini que je vois, la relation symbiotique entre la musique de l’un et les films de l’autre me laisse sans voix, c’est tout simplement miraculeux.

Lorsque retentit le générique de fin, lorsque se termine la jeunesse de Titta avec la mort de sa mère et le mariage de la Gradisca, la conclusion s’impose : Amarcord est un grand Fellini et il a d’ailleurs été reconnu comme tel. Le film a reçu l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, le quatrième – excusez du peu – et dernier remporté par Fellini (après ceux de La strada, Les nuits de Cabiria et Huit et demie) à la cérémonie de 1975. Et moi je suis plutôt content d’avoir presque complété la filmographie de Fellini – pour être franc, il me manque les films du tout début et de la toute fin de carrière – en apothéose avec cette pépite, ce salutaire member’s pick. En espérant que tous les autres soient au niveau.

Laisser un commentaire